Sylvia Tassan Toffola est présidente du SRI et DG de TF1 Pub. © CHRISTOPHE CHEVALIN

JDN. Le SRI fête ses 20 ans ce lundi. Dans 20 ans, à quoi pourrait ressembler la publicité digitale ?

Sylvia Tassan Toffola. Le numérique sera structurel et structurant à tous les niveaux : économique, environnemental, sociétal et même culturel et identitaire. Le monde virtuel, la réalité augmentée, les objets connectés et l'IA ancreront notre identité numérique. Dans 20 ans nous serons avant tout des citoyens numériques avec à la fois tous les bienfaits que cela va nous procurer mais également toute la vigilance que cela exige afin que nous ne devenions pas une société comme celle décrite dans "Minority Report" (ce film de Steven Spielberg avec Tom Cruise dans le rôle principal, sorti en 2002 et inspiré d'une nouvelle de Philip Dick, décrit une société digitalisée de surveillance et de contrôle extrêmes basés sur des prédictions, ndlr.).

Dans 20 ans, nous serons dans l'anytime, anywhere, anydevice. L'écran de télévision ne disparaîtra pas ni le poste de radio, mais ils seront connectés. Demain, notre véhicule sera un lounge, comme l'expliquait au dernier CES à Las Vegas Linda Jackson, CEO de Peugeot, à propos de son dernier concept de véhicule autonome, c'est-à-dire un espace de rassemblement et de consommation de contenus où conduire deviendra une option. Demain également, le poste de télévision ne sera plus un poste mais un hub de contenus permettant à toute personne de consommer les vidéos de manière ultra personnalisée.

L'IA notamment va accélérer l'accès au monde virtuel, elle apportera des bénéfices très nombreux, avec des gains de productivité colossaux, mais également le risque de nous habituer aux sirènes de la facilité et de la copie, mettant un frein à notre créativité. Le principal défi pour nous sera de réussir cette transition notamment avec une réglementation adaptée, beaucoup de vigilance et des efforts de formation et d'éducation. Point important : l'IA en open source contribuera à mettre un peu plus d'équité dans notre marché des contenus en ligne et de la publicité digitale. Ce qui fera la différence, ce sera l'expertise et la créativité.

De quelle place justement disposeront les publishers dans ce monde virtuel préempté par une poignée de grandes plateformes ?

Le marché va probablement poursuivre sa consolidation, la configuration des acteurs aujourd'hui sera amenée à continuer d'évoluer. A chaque fois qu'il y a de nouveaux entrants, il y a des sortants et tous les publishers ne s'en sortent pas. Quoi qu'il arrive, il nous faudra garder une base garante de pluralisme éditorial. Dans 20 ans, le modèle publicitaire restera prédominant justement parce que c'est le seul moyen à toute sorte de publisher, grand, moyen et petit, de rendre gratuit l'accès aux contenus d'information et de divertissement. La publicité est un modèle de financement vertueux garant du pluralisme éditorial et culturel. Le modèle du tout payant montre déjà ses limites aujourd'hui, le consommateur moyen ne peut suivre. Sur l'ensemble de ce qui est produit, le ratio est de 80/20 : 80% du modèle reste publicitaire, les 20% restants répondent aux besoins de certaines catégories de la population. Ce qui n'empêche pas à la publicité de devoir évoluer.

Comment la publicité doit ou va-t-elle évoluer ?

La publicité est déjà train de prendre la direction de la sobriété ne serait-ce que par rapport aux enjeux climatiques. Mais elle le fait aussi pour mieux capter l'attention. Nous sommes entrés dans une logique de lutte contre la déperdition et de priorisation où "less is more", où la publicité cherche à proposer une expérience de qualité mieux dosée, plus utile, interactive et engageante grâce à l'IA, à la data, aux objets connectés et aux formats que la technologie nous permet d'activer, comme la vidéo, premier loisir des populations dans le monde. La guerre du clic et la course aux pages vues sont derrière nous. La publicité utile parle aux consommateurs parce qu'elle est pertinente, s'intègre en bonne intelligence aux contextes et n'est pas imposée. L'enjeu de ces prochaines années consistera à remplacer la notion d'exposition publicitaire par celle d'expérience publicitaire. Nous nous dirigeons déjà vers la monétisation de l'attention et demain nous monétiserons l'expérience. En monétisant mieux, l'éditeur n'aura pas besoin d'afficher la même quantité de publicité.

Tout publisher pourra vraiment adopter ce modèle avec moins de pub ?

Ils seront obligés de resserrer leurs inventaires parce que les annonceurs et le public en général va se mobiliser pour favoriser des acteurs responsables ne serait-ce qu'en termes d'empreinte carbone. La rareté va se monétiser. C'est un enjeu d'intelligence et de responsabilité collectives. On voit bien que les régulateurs s'efforcent d'encadrer l'accès à la data et les asymétries entre les différents acteurs mondiaux et européens.

Il y a 20 ans le SRI était créé avec les cinq principales régies publicitaires de l'époque (Alice, AOL, MSN, Orange et Yahoo !). Aujourd'hui vous rassemblez les régies d'acteurs historiques français de la presse, de la radio, de la télévision, des pure players et même les plateformes. Quel sera votre prochain chapitre ?

La réussite de notre transition vers la citoyenneté numérique doit être le combat des vingt prochaines années des organisations interprofessionnelles de la filière de la communication. Notre objectif est également de réussir à travers toute l'interprofession française et européenne à améliorer la considération de la publicité par les instances réglementaires. Ces dernières ne semblent pas encore toutes avoir compris l'importance du rôle de la publicité pour protéger le pluralisme et les cultures.

Pour eux, publicité digitale égal Google et Facebook. Ces dernières années, nous nous sommes fortement rapprochés de l'Alliance Digitale, qui représente pour nous une voix européenne. Enfin, les combats à mener sur les distorsions et les asymétries de ce marché (référence aux Gafam qui captent la majorité des investissements publicitaires, ndlr.) et sur la valeur culturelle des publishers français resteront toujours d'actualité. C'est pourquoi nous avons fait entrer également Amazon et Google au SRI : nous croyons fortement au dialogue et à la coopétition. Sur ces enjeux "géonumériques" chaque instance, interprofession, gouvernement et autorités européennes, devra contribuer à la construction d'un monde numérique riche en contextes et en contenus qualitatifs et pertinents.


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