Stéphanie Zolesio, directrice générale exécutive de Casino Immobilier. © Jean-Philippe Moulet

JDN. Pourquoi le groupe Casino s'intéresse-t-il au Web3 et pourquoi est-ce Casino Immobilier qui a pris en charge ce segment ?

Stéphanie Zolesio. Dès 2021, nous avions le souhait de nous diversifier vers des sujets plus innovants comme celui de la tokenisation, un mot encore abscons à l'époque pour les équipes, et cette curiosité nous a poussé à comprendre les sous-jacents de ce terme, en particulier la blockchain. Nous avons vu un intérêt pour l'industrie, d'abord immobilière et retail, soit le coeur d'activité de Casino Immobilier, puis nous avons compris qu'au-delà de la seule transaction, cette technologie offrait de nombreuses possibilités par les smart contracts, comme la gestion dans le temps, une notion intéressante dans notre dispositif immobilier de plateforme de services pour le compte du groupe et de tiers. Pour construire une vision, nous nous sommes intéressés très vite à l'immobilier virtuel que représentaient les métaverses, bien avant que Meta ne s'appelle Meta, loin de l'effet de hype.

Comment s'articule cette vision au sein du groupe ?

Nous voulons bâtir un écosystème avec une approche test-and-learn autour de quatre thématiques : la tokenisation de l'immobilier ;l'investissement des métaverses pour proposer de nouveaux espaces et terrains de jeu à nos enseignes ; l'adoption de crypto-actifs, NFT et avatars avec de l'utilité et une véritable réflexion autour de la réinvention de nouveaux modèles marketing et économique pour nos marques ; enfin, l'initiative de création du premier stablecoin euro, lugh, pour lequel le groupe Casino est à la manette. Le point commun et fil conducteur de ces initiatives depuis deux ans est la volonté de vulgariser, démocratiser et ne pas parler à la seule élite Web3, éclairée et déjà au courant de tout ça. 

Pour la création de vos expériences, vous avez opté dès le début pour des métaverses Web3 comme Decentraland et The Sandbox, plutôt que des plateformes centralisées comme Roblox ou Minecraft. Pourquoi ?

Quand on a souhaité investir dans le métaverse et après avoir étudié le marché, nous avons opté pour des plateformes plus généralistes car nous pensions que les plateformes gaming ne répondaient pas aux différents enjeux que l'on testait. Les jeux immersifs ne sont pas notre démarche, cela a déjà été fait et ce n'était pas notre sujet au sein du groupe. On avait vraiment envie d'aller tester le côté blockchain, décentralisé, avec la conviction qu'il s'agit d'une vraie révolution dans l'industrie mais aussi dans notre relation avec le client. L'aspect qui me marque énormément est que l'on reste possesseur de sa donnée, de la création de la valeur et ça, cela peut bouleverser la façon dont on travaille. C'est ça que l'on voulait tester. Nos premiers investissements se sont formalisés au cours de l'été 2021 et nous avons acheté des parcelles dans différentes plateformes métaverse, d'abord sur Decentraland puis sur The Sandbox.

"Ce sont des actifs qui attirent la clientèle, donnent de la data et génèrent potentiellement une forme de rentabilité"

Vous avez évoqué une approche test-and-learn. Quel a été le coût de ces acquisitions de terrains virtuels ?

Cela n'a pas représenté des sommes extrêmement importantes car nous avons à cœur de rester dans une forme de frugalité au sein du groupe Casino, notamment sur des essais. Sur The Sandbox, nous avons choisi de ne pas acquérir nos parcelles sur le marché secondaire mais d'aller directement comprendre quelle était la feuille de route et la stratégie des créateurs pour s'assurer d'une vision partagée : cela a donc fait l'objet de nombreuses discussions avec Sébastien Borget (CEO et fondateur de The Sandbox, ndlr) et nous avons finalement noué un partenariat, ce qui nous a permis de réaliser l'acquisition de ces terrains directement auprès d'eux. Cela nous a permis de limiter nos investissements, méthode que nous avons toujours respectée par la suite. Sur Decentraland, qui était moins accessible en termes de relation, nous avons mesuré les parcelles au meilleur rapport qualité-prix en fonction de leur localisation et nous avons d'ailleurs compris que la méthodologie pour le cadastre virtuel est semblable à celui du physique. 

Vous avez lancé des collections de NFT pour Monoprix et Le Club Leader Price. Qu'avez-vous appris à cette occasion ?

Pour Monoprix, nous avons repris les codes de la marque avec des partenariats très artistiques et une volonté de vulgarisation par le site nft.monoprix.fr. Pour  Le Club Leader Price, nous avons permis de récupérer en trois clics par l'application LCLP wallet créé à cette occasion des NFT gratuits qui apportent une réelle utilité, comme des réductions sur les commandes dans cette enseigne. Nous avons eu un excellent taux de clics et de call-to-action et l'association avec des utilités nous a permis de créer un engagement nouveau entre la marque et notre client. Nous créons des actifs qui attirent la clientèle, nous donnent de la data et potentiellement, à terme, génèrent une forme de rentabilité immédiate ou indirecte. On a aussi appris des choses à ne pas faire, comme ne pas vérifier la roadmap d'une plateforme ou ne pas vérifier les compétences de nos interlocuteurs, car il y a beaucoup d'arrivants dans ces métiers et le Web3 a drainé des sachants mais aussi des gens qui se prétendent l'être. Enfin, nous avons appris la différence entre une vraie décentralisation et quelque chose qui se présente comme tel.

"Casino a créé une académie Web3 pour éduquer nos équipes en interne"

Même si le Web3 reste un segment très mineur du groupe Casino, aspirez-vous à être perçu comme un acteur de ce mouvement ?

Nous avons un rôle de caisse de résonance ; on ne prétend pas être un acteur du Web3 au même titre qu'une société spécialisée. Nous avons fait le choix d'avoir une équipe très limitée, nous n'avons pas intégré de développeurs ou créé nos propres solutions. C'était un choix volontaire, et assumé, d'être agnostique sur les outils et de travailler avec plusieurs agences et partenaires, comme Arianee, Wagmi United, Bem Builders ou Ownest. Nous sommes plutôt une passerelle. Je pense que le fait que l'on a cherché à vulgariser, à démocratiser et offrir une caisse de résonnance à ces nouvelles possibilités, à une époque où les NFT étaient résumés à de l'investissement spéculatif, a aidé à créer un regard différent, notamment sur leur utilité. Cela a contribué à montrer que l'on n'est pas dans un monde dangereux à la Ready Player One (film de science-fiction réalisé par Steven Spielberg, ndlr). On reste néanmoins conscient que cela a été des tests à toute petite échelle et que tout reste encore à faire. 

Il y a-t-il une volonté de développer ces compétences en interne ?

On prend ce rôle très à cœur. Nous avons créé une académie Web3, dont le but est d'expliquer et vulgariser les grands principes et implications dans nos métiers. Nous avons formé des directeurs comptable, des directions financière, juridique ou logistique sur les bénéfices éventuels de la blockchain. Il y a des questions très simples, comme savoir si l'on applique de la TVA sur un NFT quand on le vend en magasin. C'est un sujet pour mes équipes aux affaires financières. Savoir comment protéger ma propriété intellectuelle dans un métaverse et sous quelle juridiction le faire. C'est un sujet pour mes équipes juridiques. Tout ça, on l'apprend dans la Web3 academy avec un programme structuré et certifiant à la fin du parcours. 

Formée à HEC Paris, Stéphanie Zolesio a travaillé au sein d'Unibail comme operating manager avant d'embarquer pour le groupe Hammerson et de rallier Londres jusqu'en 2014. Cette même année, elle intègre le groupe Casino pour  prendre la direction du pôle arbitrages et partenariats immobiliers jusqu'en 2019 avant de prendre la fonction de directrice générale adjointe de Casino Immobilier durant trois ans. Elle est désormais directrice générale exécutive.


Source link