Lancé en 2019 par les canadiens Remy et Jean-Marc Jacobson, l'entreprise américaine RealToken propose d'acheter des biens sur le marché immobilier US à l'aide de tokens, des actifs numériques émis et échangés sur une blockchain. Cette idée remonte à l'année 2018, durant laquelle des juges américains ont reconnu la validité d'un token comme actif prouvant la possession d'une entreprise aux Etats-Unis. Cette décision a ouvert la voie à la tokénisation et les deux frères, à la tête d'une fondation Bitcoin à Montréal, ont saisi l'opportunité. 

Pour l'instant, il est impossible de vendre des parts d'un bien immobilier directement sous forme de tokens. Chaque propriété mise en vente a donc sa société avec son actionnariat. Les tokens correspondent ainsi aux actions de ces sociétés et ont intrinsèquement une valeur immobilière. Leur prix débute à 50 dollars. En moyenne pour un bien immobilier valorisé à 100 000 dollars, la société propriétaire compte 130 actionnaires. RealT nomme à la tête de chaque société un gestionnaire interne de propriété qui peut être changé si la majorité des actionnaires (détenteurs de tokens) le souhaite. Chaque mois les actionnaires reçoivent des dividendes sur leur portefeuille Ethereum ou Gnosis en USDC, un stablecoin à parité avec le dollar. Les dividendes correspondent aux loyers payés en US dollars par les locataires desquels ont été déduits les frais de gestion et les potentiels impayés ou les sinistres. RealT se rémunère de deux manières, en prélevant 2% des revenus bruts du bien et en ajoutant 10% lors de la levée de fonds pour l'achat du bien. 

1 000 logements vendus

Depuis la création de RealT, 4 millions de dollars de loyers ont été reversés sur le compte de ses clients. La société a mis en vente 220 propriétés, l'équivalent de 1 000 logements. Il ne faut en moyenne que deux minutes pour vendre l'intégralité des tokens d'une propriété valorisée à moins de 500 000 dollars. Lors des mises en vente de propriétés, un client ne peut pas acheter plus de 10% de l'intégralité des tokens. 

Initialement, RealT avançait l'argent pour acheter le bien immobilier, qui était ensuite tokénisé et vendu. Désormais, la vente des tokens finance l'acquisition du bien lors du passage à l'acte de signature. Si les fonds levés ne sont pas suffisants pour le closing, alors l'opération est annulée et les fonds sont retournés aux investisseurs. Jean-Marc Jacobson nous assure que ce n'est jamais arrivé. 

Le portefeuille immobilier de RealT à l'acquisition vaut 55 millions de dollars contre 65 millions de valorisation

Le portefeuille immobilier de RealT à l'acquisition vaut 55 millions de dollars contre 65 millions de valorisation. Jean-Marc Jacobson ne sélectionne pas de "belles propriétés avec un fort potentiel de valorisation" mais privilégie la rentabilité. Pour preuve, RealT propose entre 6 et 11% de rentabilité annuelle. Le cofondateur est en revanche moins loquace sur la croissance de son entreprise, se contentant de parler de résultats "exponentiels".

Effet de levier et DeFi

"Il n'y a pas d'investissement sans risque", rappelle Jean-Marc Jacobson. Selon lui, les risques correspondent à ceux du marché immobilier traditionnel : impayés, travaux supplémentaires, problèmes de gestion. La principale différence réside dans l'absence d'emprunt bancaire au moment de l'achat immobilier, et donc en théorie du fameux effet de levier cher aux investisseurs locatifs. Sauf que ce serait oublier que RealT est une entreprise du Web3. Et qui dit Web3, dit finance décentralisée. RealT met à disposition de ses clients une plateforme DeFi, RMM, surnommée à tort par certains "RealT makes magic", qui permet de retrouver cet effet de levier. En immobilisant ses tokens sur RMM, un client obtient 50% de leur valeur en dollars qu'il peut réinvestir en achetant d'autres tokens, tout en continuant de percevoir les loyers.

Un particulier peut aussi décider de vendre ses tokens sur la plateforme RealT contre 3% de frais ou sans frais sur des plateformes crypto telles que Uniswap. Au final, la tokenisation de biens immobiliers rend le marché immobilier liquide et réduit considérablement le délai pour obtenir des financements puisque "tout se fait en quelques clics", vante Jean-Marc Jacobson.

"L'immobilier est un métier très local, chaque pays souverain essaie de protéger son territoire, ce qui nous oblige à nous adapter aux régulations de chaque pays"

Agrément en France

Mais tout n'est pas si fluide pour RealT, qui se heurte au quotidien au cadre juridique des valeurs mobilières. Sur une équipe de 21 personnes, 3 sont entièrement dédiées au sujet. "L'immobilier est un métier très local, chaque pays souverain essaie de protéger son territoire, ce qui nous oblige à nous adapter aux régulations de chaque pays", précise le cofondateur. En Suisse, l'immobilier résidentiel est ouvert aux investissements étrangers sous condition de ne pas dépasser un certain pourcentage. Pour l'achat immobilier aux Etats-Unis, il convient de créer des C Corp, en France il faudrait créer des SA ou des SAS. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'imposition ne semble pas être un frein : "chacun est responsable de son impôt dans son pays", résume Jean-Marc Jacobson. Dans certains Etats, la détention de tokens n'est pas sujette aux taxes, dans d'autres elle est considérée comme une valeur mobilière taxable. 

Le marketing est quant à lui très restreint : la publicité pour un bien immobilier spécifique sont interdites. Pour l'avenir, RealT pense sérieusement à créer une application afin de faciliter l'achat de tokens et s'adapter aux habitudes des millennials. Mais le principal chantier est l'international. Ses 10 000 clients viennent de 135 pays différents, pourtant RealT ne propose pour l'instant que des biens sur le marché immobilier américain. A l'avenir, Realt compte proposer des biens en dehors des Etats-Unis (d'ici la fin de l'année) mais également des investissements en euros. 

Pour cela, l'entreprise doit soumettre un dossier à une autorité des marchés financiers européenne. Le choix s'est porté sur la France en raison de la francophonie des deux créateurs. Comme RealT est une entreprise américaine, elle pourrait bénéficier d'exemptions lors de son implantation en Europe et serait assujettie à des obligations, notamment l'interdiction de proposer des biens de plus de 8 millions de dollars. A la question "où en êtes-vous avec les régulateurs ?", le cofondateur répond que "le dossier avance", sans plus de détails.


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