Explosion des coûts de production des jeux à gros budget, disparition progressive des consoles et nouveaux modes de consommation obligent les éditeurs à repenser leur modèle économique. 

Objectif : trouver des sources de revenus permanentes et stables pour leurs jeux les plus populaires.

Considéré à ses débuts comme un divertissement pour enfants, moins porteur que la télé, le cinéma ou la musique, le jeu vidéo est aujourd’hui, et de loin, le secteur des loisirs qui connaît la croissance la plus rapide. Avec un chiffre d’affaires annuel mondial en passe d’atteindre les 200 milliards de dollars, il représente désormais le deuxième secteur des loisirs et médias, juste derrière la télé et la vidéo en streaming. L’âge moyen des joueurs, lui, a récemment dépassé les 30 ans.

Des coûts de production en forte hausse

Mais pour les petits comme les grands éditeurs de jeux, le modèle économique a besoin d’être consolidé, voire réinventé. Les jeux vidéo sont, en effet, de plus en plus chers à produire. En 2022, Shawn Layden, l’ancien patron de PlayStation, indiquait par exemple que les grands jeux pour PS4 qu’il avait aidé à sortir coûtaient au bas mot 100 millions de dollars chacun. Il prédisait aussi que les jeux pour la nouvelle génération PS5 coûteraient le double, voire plus. 

Une prédiction qui semble se vérifier. Cette hausse vertigineuse s’explique en bonne partie par le renforcement des équipes, estime Rhys Elliott, analyste du cabinet d’études spécialisé Newzoo : quand Assassin’s Creed II, lancé en 2009, impliquait une équipe qu’il évalue à 450 personnes, Assassin’s Creed Valhalla, sorti en 2020, aurait nécessité plus de 1 000 personnes réparties dans 17 studios. Pour un éditeur de jeux, cette multiplication des salaires et des équipements se paie chèrement : selon les estimations du journaliste Jason Schreier, la production d’un jeu vidéo à gros budget (qu’on appelle jeu AAA ou triple-A) coûtait en 2017 environ 10 000 dollars par personne et par mois.

Les éditeurs et les constructeurs de consoles ont donc pour certains choisi d’augmenter progressivement leurs tarifs, d’autant plus que les rachats successifs de studios ont eu pour conséquence une concentration du marché entre quelques grands noms (Sony, Nintendo, Microsoft), désormais en capacité de fixer leurs conditions tarifaires.

Mais pour le reste des acteurs, le salut pourrait passer par un allongement de la durée de vie des jeux et le développement de transactions « in-game », autrement dit d’achats intégrés dans leur version mobile ou sur le métaverse.

Moins d’abonnements, plus d’achats intégrés

Lorsque la digitalisation du marché du jeu vidéo s’est enclenchée, les offres d’abonnement aux jeux étaient considérées par beaucoup comme une révolution. Aujourd’hui, il devient de plus en plus évident que le gros des consommateurs n’y voit peut-être pas la même valeur ajoutée que les passionnés. Quand les hardcore gamers jouent à plusieurs titres par mois, la grande majorité des possesseurs de consoles n’achètent que deux ou trois titres par an.

Les données de Circana, une société américaine de suivi des ventes, révèlent qu’en avril 2023, les dépenses liées aux abonnements n’ont augmenté que de 2 % par rapport à l’année précédente. Cela ne signifie évidemment pas que les abonnements aux jeux vidéo vont disparaître : ils constituent même une part essentielle du marché et continueront à rapporter gros aux détenteurs de plateformes comme Sony et Microsoft. Mais la faible croissance des abonnements démontre que ce modèle économique commence à atteindre son seuil de saturation.

Allonger la durée de vie du jeu

L’un des paris actuels des éditeurs est donc de prolonger la durée de vie de leurs jeux les plus populaires, en en mettant régulièrement à jour les univers. Une fois lancé, un jeu vidéo suit, en effet, une « courbe d’intérêt » qui peut aller d’une seule semaine, pour un jeu mobile « hypercasual » – il perd de fait 90 % de son audience engagée en quelques jours –, à plusieurs années pour un classique comme Grand Theft Auto V. Ce dernier s’est réinventé en tant que jeu en ligne interagissant en direct avec sa communauté, pour générer encore des revenus importants dix ans après son lancement, en 2013.

Dans le cas de la licence Call of Duty, plusieurs développeurs sont appelés à la rescousse pour proposer des versions alternatives tout au long de l’année. Ces mises à jour permettent par exemple aux joueurs d’acquérir de nouveaux personnages et de nouvelles fonctionnalités via des transactions dans le jeu.

Achats «in-game», des vitamines pour les jeux mobiles

Les jeux pour mobiles sont également chahutés. La plupart ne coûtent rien à télécharger et à jouer, de sorte que les développeurs comptent sur la publicité dans le jeu et les achats de packs dans l’application pour générer des revenus. Dans les deux cas, il s’agit d’inciter les utilisateurs à jouer plus souvent et plus longtemps.

Mais pour la première fois depuis quinze ans et l’avènement du smartphone, le marché mondial du jeu vidéo mobile a vu ses revenus décroître en 2022. Le secteur, qui était jusqu’ici la branche la plus prolifique de cette industrie culturelle, a subi un déclin de 5,1 % par rapport à l’année précédente, selon un rapport du cabinet spécialisé Newzoo.

L’une des raisons avancées par les experts pour expliquer ce revirement : la mise en œuvre, ces derniers mois, par l’IDFA (identifiant publicitaire Apple) de nouvelles restrictions en matière de suivi publicitaire sur iOS. Or, certains types de jeux comme les « hypercasuals » – le modèle dominant depuis 2018 – se monétisent encore presque entièrement par la publicité, et en particulier par la publicité ciblée. Les mesures prises par Apple ont mis à mal le modèle économique de nombreux jeux pour mobiles. En réponse, davantage d’éditeurs essaient maintenant de monétiser leurs créations avec des achats in-app. En 2023, sur le marché des applications mobiles dans son ensemble, 336 milliards de dollars (67 %) de revenus provenaient encore de la publicité, et 167 milliards de dollars (33 %) des achats in-app. 

L’appel du métaverse

Un autre secteur à offrir des perspectives sérieuses aux éditeurs est le métaverse, dont on peut trouver les frémissements chez le « vétéran » Second Life, sorti en 2003, et qui en 2020 générait encore 600 millions de dollars de transactions utilisateurs. Plus récent, Fortnite rapportait, lui, la même année près de 5 milliards de dollars de revenus.

L’exemple de Roblox est également marquant. Sur cette plateforme de jeu en ligne, les utilisateurs peuvent non seulement créer leurs avatars et vivre diverses expériences, mais aussi développer leurs propres jeux, que tout joueur inscrit pourra fréquenter. Joueurs ou créateurs, les utilisateurs sont invités à utiliser la monnaie de la plateforme, appelée Robux. L’éditeur de Roblox perçoit une commission sur toutes les transactions Robux, qu’il s’agisse de joueurs qui souhaitent par exemple obtenir des améliorations et des accessoires vestimentaires pour leurs avatars, ou de créateurs sur Roblox qui, dans l’espoir de s’assurer des revenus, mettent en avant leurs créations sur le réseau publicitaire interne. 

Autant de transformations qui, chacune à leur manière, impactent le modèle économique d’un marché toujours très dynamique. Les perspectives de croissance sont là, du moins pour les éditeurs de jeux vidéo qui sauront allier innovation et réactivité aux mouvements du secteur pour valoriser à long terme le potentiel de leurs meilleurs titres.


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