Leonard Lin est en charge des affaires publiques de Shein depuis février 2022. © Shein

JDN. Quels sont les éléments du succès rapide qu'a enregistré Shein ?

Leonard Lin. Shein a été fondé il y a 11 ans et opère dans 150 pays avec un modèle différent des autres e-commerçant. Ce qui nous rend unique est que nous nous concentrons sur notre mission : rendre la mode accessible à tous et procurer des vêtements de qualité pour nos consommateurs du monde entier. Le second aspect sur lequel nous nous concentrons est d'être inclusifs en proposant des gammes de tailles larges. Et, le troisième élément est la localisation. Nous souhaitons opérer sur des marchés clés avec des équipes d'une vingtaine de personnes comme c'est le cas à Paris. Nous nous adaptons aux préférences locales pour correspondre aux besoins des consommateurs français.

Notre facteur différenciant est aussi notre modèle de business unique avec une production à la demande. Cela nous différencie des retailers traditionnels. Pour chaque design, nous avons une démarche de test and learn en produisant seulement 100 à 200 pièces pour l'ensemble de nos marchés. Contrairement à nos concurrents, nous ne produisons pas des millions de pièces que nous devons stocker dans nos magasins. Depuis le début nous minimisons ainsi les déchets lors de la pré-production. Cela nous permet d'économiser et d'avoir des prix compétitifs. Nous pensons que notre modèle fonctionne et nous continuerons dans cette direction.

Parlez-nous plus en détail de votre modèle logistique.

Notre compétitivité en matière de prix tient à notre manière d'intégrer nos fournisseurs en les pluggant à notre système de gestion de la supply chain. Chacun d'entre eux voit des données concernant la demande, les types de produits et les volumes attendus et peut répondre à la demande avec agilité. Nous avons adopté cette stratégie dès le départ. Quand notre fondateur a créé l'entreprise en 2012, il a réalisé qu'il fallait réunir tous les métiers ensemble. Nous avons donc digitalisé nos processus avec des plug-in qui placent nos fournisseurs directement dans notre système.

"Nous avons un peu plus de 3 000 fournisseurs en Chine"

Les bons fournisseurs qui produisent en temps et en heure des produits de qualité sont forcément payés plus vite, cela leur donne du crédit. Nous avons un peu plus de 3 000 fournisseurs en Chine. Nous continuons d'évoluer pour correspondre à la demande et nous produisons aussi au Brésil et en Turquie.

Vous accroissez aussi votre présence en Europe, pourquoi ?

Nous avons ouvert un siège social à Dublin pour gérer nos opérations en Europe. C'est un endroit stratégique pour l'IT et nos fonctions managériales pour l'Europe y sont basées. Nous avons des bureaux dans les villes clés de l'Europe pour comprendre le style et les préférences de nos clients. Ils veulent aussi pouvoir disposer des produits rapidement, nous avons donc augmenté notre investissement en Pologne où nous possédons un centre de distribution pour l'Europe. Nous diversifions les marchés pour nous rapprocher de la demande et livrer plus rapidement.

Vous avez ouvert des pop-up stores en Europe. Quel est l'objectif derrière ?

Nous essayons d'avoir une présence offline en proposant une expérience omnicanale afin de permettre à nos consommateurs de toucher et de sentir nos produits. Nous avons déjà ouvert trois pop-up stores en France et d'autres viendront dans les prochains mois. Nous prévoyons une trentaine de pop-up stores à travers l'Europe, cela nous permet aussi de travailler notre image de marque. Nous voulons toucher nos consommateurs, engager avec eux, leur montrer que nous pouvons leur procurer de la mode de qualité et abordable. Nous faisons de même en Asie, aux Etats-Unis, au Brésil, au Mexique.

Vous avez récemment ouvert une marketplace aux Etats-Unis, au Brésil et au Mexique, pourquoi ?

Nous continuons d'évoluer et souhaitons nous assurer que nous répondons à la demande, c'est pour cela que nous avons annoncé notre marketplace globale. Notre but est de permettre à nos consommateurs de se procurer une multitude de produits avec une offre complète sur les accessoires de la maison, la beauté, les produits lifestyle, entre autres. En faisant cela, nous permettons à nos clients d'avoir accès à une offre plus large et de recevoir leurs produits plus vite en utilisant des vendeurs locaux. Nous sommes aussi ouverts au fait de travailler avec d'autres marques.

Nous souhaitons que notre marketplace soit aussi adoptée par des vendeurs locaux, car ils renforcent notre stratégie de localisation pour mieux comprendre les tendances et les préférences locales. Notre objectif est de nous renforcer là-dessus, d'embarquer les vendeurs locaux avec nous.

Et bientôt en Europe ?

Nous l'avons ouverte aux Etats-Unis, au Brésil et au Mexique. Et nous lancerons bientôt notre marketplace en Europe dans quelques pays sélectionnés. Notre objectif est d'en ouvrir en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie d'ici la fin de l'année.

Vous avez annoncé un partenariat avec Queen of Raw, une solution d'identification des tissus excédentaires, et mis un pied dans l'économie circulaire. Pourquoi ? D'autres actions vont-elles suivre ?

S'engager vers une mode plus durable nécessite des actions collectives. Tout le secteur de la mode doit évoluer et devenir plus durable. Nous nous engageons et souhaitons faire partie de ce voyage, travailler avec nos partenaires et voir comment nous pouvons améliorer nos efforts pour être plus durable, aller vers une économie plus circulaire.

Nous voulons travailler avec des partenaires comme Queen of Raw pour voir comment créer un nouveau produit vestimentaire à partir d'anciens vêtements. L'objectif est d'améliorer notre façon de faire. Nous continuons de rechercher des partenaires pour améliorer nos efforts et devenir plus durables.

"La plupart des gens ne comprennent pas notre business model"

Nous intégrons ces efforts dans notre roadmap. Nous embarquons avec nous dans cette voie nos designers afin d'utiliser des matières plus durables et de réduire nos émissions carbone. Nous sommes encore une entreprise jeune, nous essayons de nous améliorer et de faire mieux. Réduire les déchets pendant la préconception est important pour nous, ce n'est pas qu'une question de coût, c'est aussi important d'un point de vue durable. Nous nous engageons à nous améliorer et accélérer nos efforts.

C'est dans l'ADN de l'entreprise. La plupart des gens ne comprennent pas notre business model. Parce que nous avons un nombre très large de références, ils pensent que nous avons beaucoup de déchet. Mais ce n'est pas vrai.

Vous identifiez bien les tendances, comment procédez-vous ? Visez-vous d'autres segments que les Gen Z ?

Nous nous appuyons sur notre connaissance du client, ce qu'ils achètent sur notre site et notre application, pour identifier les styles et les couleurs tendances. Nous travaillons aussi avec d'autres entreprises spécialisées dans le marketing. Nous agrégeons les données pour comprendre les besoins des consommateurs. Nous avons de grosses équipes de digital marketing et nous nous appuyons sur nos réseaux sociaux pour interagir avec nos consommateurs. Le feedback des consommateurs, ce qu'ils cherchent, nous permet d'enrichir notre processus d'analyse des données, pour être meilleur et offrir le produit que les consommateurs veulent.

Les jeunes filles issues de la génération Z, âgées de 18 à 30 ans, est notre segment de consommateur dominant. Cela ne veut pas dire que nous ne nous concentrons pas sur d'autres segments. Nous cherchons à étendre nos activités sur tous les groupes démographiques. Nous augmentons le nombre de nos références d'accessoires, de beauté et nos collections homme. Nous voulons toucher tous les consommateurs que nous pouvons.

Jusqu'à récemment nous ne connaissions pas le nom du CEO de Shein, vous semblez plus ouverts à la communication aujourd'hui. Qu'est-ce qui a changé entre temps ?

Nous n'avons rien à cacher, en tant que jeune entreprise, depuis le début nous avons baissé la tête et nous sommes concentrés sur la construction de notre business. Mais en conséquence, il y a beaucoup de fausses idées qui circulent sur notre entreprise. Nous cherchons à ce que l'entreprise soit mieux comprise, nous essayons de plus en plus d'en raconter l'histoire, de faire comprendre comment notre business fonctionne, clarifier les doutes que les personnes pourraient avoir sur notre modèle. C'est important pour nous de communiquer avec les parties prenantes, les gouvernements les régulateurs, nous avons grandi vite et avons été dépassés par notre succès.

Bruno Lemaire a récemment interpellé sur les conditions sociales dans lesquelles les vêtements de la fast fashion sont produits et leur sécurité en mentionnant Shein. Qu'avez-vous à répondre à cela ?

Shein s'engage à être en conformité avec les lois et les réglementations des pays dans lesquels nous opérons. La France est un marché prioritaire pour nous et nous voulons rassurer nos clients : nous nous engageons à leur procurer des produits sûrs et de confiance. Nous avons été proactifs dans notre relation avec les différentes autorités et administrations françaises, pris contact avec elles pour leur partager et leur expliquer notre business model et nos activités. Nous les avons jointes dans le passé pour voir s'il y avait la possibilité de les rencontrer, nous restons ouverts et disponibles pour rencontrer le ministre de l'Economie.

Vous êtes aussi accusés de recourir à du travail forcé par des Ouïghours. Qu'en est-il ?

Nous avons une tolérance zéro sur le travail forcé. Pour tous nos fournisseurs et nous même nous avons développé un ensemble de règles robustes, baptisé politique de responsabilité Shein, en conformité avec les règles des conventions internationales sur le travail et avec les réglementations locales pertinentes.

"Nous ne faisons pas travailler des enfants et ne recourrons pas au travail forcé"

Nos règles concernent la santé et la sécurité au travail, nous ne faisons pas travailler des enfants et ne recourrons pas au travail forcé. Tous nos fournisseurs signent un code de conduite et doivent être en conformité avec celui-ci. Pour s'assurer que nos fournisseurs sont bien en conformité, nous recourrons à des cabinets externes pour mener des audits non programmés. Si une non-conformité est relevée, nous prenons des mesures, si nous ne pouvons pas améliorer les choses, nous nous réservons le droit de ne plus travailler avec certains de nos fournisseurs.

Au-delà de ces vérifications, nous prenons nos responsabilités, nous nous concentrons sur l'amélioration de notre supply chain et de l'environnement de travail. Nous avons développé un programme pour les fournisseurs. Nous avons investi environ 70 millions de dollars pour améliorer l'environnement de travail et le bien-être des employés de nos fournisseurs.

Des rumeurs d'IPO ont circulé aux Etats-Unis, qu'en est-il ?

Nous réfutons ces rumeurs.

La France est-elle un marché particulier pour Shein ?

La France est une des économies majeures en Europe, c'est la capitale de la mode. C'est un marché important pour nous, pas seulement du point de vue des consommateurs, mais aussi, comme source d'inspiration. Il est important pour nous d'améliorer notre aspect créatif.

"Nous réfutons les rumeurs d'IPO"

Nous avons notre programme SheNext, dont l'objectif est de travailler avec des designers indépendants. Ils peuvent se concentrer sur la création et nous gérons les pain points pour eux comme la production, le marketing et la vente. Nous en avons 3 000 dans le monde et 100 en Europe. La France est un des marchés dont ils proviennent le plus. Nous avons aussi ouvert une creative house dans le 2e arrondissement à Paris pour les stylistes et les designers qui collaborent avec nos équipes. Nous y produisons par exemple du contenu et des live shoppings diffusés sur nos réseaux sociaux.

Leonard Lin occupe la fonction de country general manager pour le bureau de Singapour et de global head of public affairs chez Shein depuis février 2022. Avant cela, il a occupé trois postes de direction au sein du fonds d'investissements Temasek où il a passé 9 ans et travaillé pour le ministère de la défense de Singapour où il était en charge des relations avec la Chine et les Etats-Unis. Il est titulaire d'une licence en sciences sociales obtenue auprès de la National University of Singapour.


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