De Duolingo à Babbel, en passant par Lingvist ou Gymglish, on ne compte plus les plateformes proposant d'apprendre une langue en ligne, tranquillement chez soi sur son ordinateur, ou durant les temps de transport sur son smartphone ou sa tablette. Cet apprentissage en ligne rompt avec les codes de l'enseignement traditionnel.

A défaut de converser avec un professeur, de chair et d'os, les éditeurs spécialisés multiplient les recours aux technologies d'intelligence artificielle pour renforcer l'engagement de l'apprenant. Pas question de reproduire les débuts désastreux de l'e-learning où l'apprenant passif devant son écran décrochait dès les premières leçons.

Pour réduire ce taux d'abandon, le principal apport de l'IA porte sur la personnalisation de l'apprentissage. De la même manière qu'un formateur adapte le contenu de son cours en fonction de la typologie de son auditoire et de ses réactions, le concept d'adaptive learning consiste à personnaliser le parcours pédagogique en fonction du profil de l'apprenant et de ses objectifs.

"Il s'agit de sortir de l'apprentissage linéaire, identique pour tous les apprenants, explique Benjamin Levy, co-fondateur de Gymglish, éditeur français dont le recours à l'IA remonte à sa création en 2004. Ces deniers n'ont pas le même vécu, les mêmes facilités en termes de capacité cognitive ni le même emploi du temps."

Le deuxième apport de l'IA porte sur l'ancrage mémoriel. Alors que notre cerveau a la fâcheuse tendance à oublier ce qu'il a appris la veille ou l'avant-veille, cette modalité pédagogique, relevant des neurosciences, vise à obtenir une mémorisation durable par un système de répétions savamment orchestré. Selon le concept cette fois du spaced learning, il s'agit de faire des piqures de rappel, à des moments clés du parcours, sur des points de grammaire, des tournures idiomatiques ou de nouveaux mots de vocabulaire. La encore la personnalisation est de mise. "Vous et moi n'aurons pas la même leçon demain matin", précise Benjamin Levy.

Corpus lexical et évaluation de la prononciation

Au-delà de la personnalisation des parcours, Duolingo (dont le fondateur était professeur en informatique et intelligence artificielle à l'Université de Carnegie Mellon, à Pittsburgh) fait, lui aussi, un large appel à l'IA à différents stades de la construction de ses cours. Comme l'éditeur américain l'explique dans ce billet de blog, l'IA sert à lister toutes les traductions possibles d'une phrase afin d'accepter une formulation correcte de l'apprenant quelle qu'elle soit.

Regroupant les sous-familles de la reconnaissance et de la synthèse vocale, l'IA est aussi utilisée par l'éditeur américain pour donner une voix de synthèse à ses personnages mais également pour évaluer la prononciation de l'apprenant, à la manière d'un laboratoire de langues virtuel.

Pour sa part, Lingvist a recouru à l'IA à sa création, en 2014 pour établir ses corpus de textes. La startup estonienne a pour cela analysé statistiquement quels sont les mots les plus utilisés dans une langue. Pour établir cette occurrence, elle a passé en revue des dizaines de milliers d'articles de presse, de livres ou de sous-titres de films, comme elle l'explique dans un autre billet de blog.

Babbel emploie, de son côté, des experts du traitement du langage naturel ou NLP (natural language processing). Un vaste domaine scientifique qui couvre la traduction automatique, la reconnaissance vocale ou la correction automatique. Ses équipes cherchent à s'affranchir de la complexité linguistique en retenant autant que possible des structures de phrases simples et courtes afin de faciliter l'apprentissage. Le machine learning permet d'établir un score de complexité.

Comme Lingvist, Babbel analyse aussi la fréquence à laquelle les mots sont utilisés dans la vie quotidienne, rappelant que le vocabulaire d'un individu dont l'anglais est la langue maternelle varie de 15 000 à 30 000 mots. Basé à Berlin, l'éditeur intègre aussi comme paramètre l'âge moyen auquel les gens ont tendance à apprendre un mot donné.

ChatGPT, un game changer ?

L'arrivée de nouvelle génération d'agents conversationnels dans le sillage de GPT3 et ChatGPT d'OpenAI, pourrait faire entrer ces plateformes d'apprentissage dans une autre dimension. Passant haut la main le test de Turing, ces chatbots évolués tiennent des conversations particulièrement fluides et pertinentes. Ils pourraient devenir demain des "sparring partners", des partenaires d'entrainement comme au tennis.

Il serait possible de contextualiser le fil d'une conservation et de proposer, par exemple, des mises en situation professionnelle dans le cadre d'un apprentissage d'un anglais technique. Parler à un robot décomplexerait, par ailleurs, les apprenants s'autorisant plus facilement le droit à l'erreur. Sans aller encore dans cette voie, Duolingo utilise GPT-3 pour "corriger la grammaire de petites rédactions" ou pour "créer des textes de test", nous apprend un article du Monde.

"Il faut être très humble sur les apports de l'IA, tempère de son côté Benjamin Levy. Avoir un professeur humain reste le nec plus ultra pour apprendre une langue". Selon lui, ce futur "cyber teatcher" ne détournera pas les apprenants des autres modalités d'enseignement que sont l'auto-apprentissage, les cours en présentiel et toutes les approches hybrides intermédiaires. "L'IA est déjà présente depuis deux décennies dans notre secteur et n'a pas tout écrasé".

Benjamin Levy note toutefois un impact de l'IA sur le rôle du professeur, qui se positionne moins dans l'acquisition des connaissances et davantage dans le coaching et le tutorat. Pour autant, le feeling qui passe entre un apprenant et son professeur reste difficilement modélisable. A la différence d'un robot, un être humain manie la nuance, l'ironie, l'humour, le second degré. Des éléments essentiels dans l'apprentissage d'une langue vivante. Jusqu'à quand ?


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