C’est Netflix, le fleuron du divertissement 2.0 qui aurait été le premier, en 2003, à proposer à ses collaborateurs des congés payés sans limite prédéfinie. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la croissance fulgurante du géant de la VOD ne semble pas entravée par cette politique de congés. Depuis, beaucoup ont suivi, des boites de tech américaines d’abord, puis quelques start-up françaises. Nous pensons que ce phénomène est loin d’être un effet de mode ou un coup marketing.

Le monde du travail de demain laissera à chacun la possibilité d’organiser son temps comme il l’entend. Contre une hiérarchie verticale et rigide où les chefs fixeraient unilatéralement les moments chômés et les moments de labeur, il faudra bientôt que les salariés puissent construire un rythme de travail qui leur corresponde. Encore faut-il que les termes de l’accord entre employeur et employé soient clairs : de fait, les vacances dites illimitées ne le sont souvent pas vraiment. Pourquoi ?

Vacances illimitées ou libres ?

Pour certains observateurs, les vacances illimitées ne seraient qu’une hypocrisie de plus qui priveraient les salariés du repos qu’ils méritent : sous la pression des chefs et des pairs plus zélés, on n’oserait pas demander de jours de vacances si on ne sait pas combien nous sont dus. Va encore pour les États-Unis, où aucune loi fédérale ne contraint les employeurs à accorder des congés payés à leurs salariés. Mais pour la France et ses 2,5 jours de congés obligatoires par mois, les vacances illimitées ne seraient-elles pas un retour en arrière ?

Les règles strictes ont cet avantage : les termes du contrat sont énoncés clairement, chacun connaît ses droits et n’éprouve aucune gêne à les réclamer. Au contraire, les limites de ces vacances illimitées sont souvent vues comme nébuleuses. Les salariés peuvent-ils vraiment décamper quand bon leur semble, sans demander leur reste ? La réponse est évidemment non : l’arrangement plus ou moins tacite est que chacun peut prendre des vacances tant qu’il remplit ses fonctions et fournit un travail de qualité. Il s’agit de permettre à chacun d’organiser ses congés de manière flexible, dans le cadre de son contrat de travail.

Il nous semble indispensable de dissiper cette incompréhension pour parvenir à une politique de vacances illimitées apaisée, qui ne laisse la place ni aux abus, ni à la pression. C’est pour cette raison que nous lui préférons le terme de vacances libres. Nous pensons aussi que ce sont le genre de questions que devront bientôt se poser les entreprises pour faire face à la révolution du monde du travail.

Comment mesurer le travail à l’ère de l’information ?

Dans un livre au titre évocateur publié en 2020 (La Règle ? Pas de Règles !), Reed Hastings, le PDG de Netflix, défend sa vision d’un management qui fait la part belle à la liberté et à la responsabilité individuelle. Il souligne l’échec du taylorisme à l’ère de l’information : « Je n'ai jamais cru que la valeur du travail créatif pouvait se mesurer en temps ».

Nous sommes de plus en plus nombreux à avoir des métiers qui nous demandent de réfléchir à des problèmes complexes pour leur trouver des solutions créatives et innovantes. Force est de constater qu’on ne peut pas estimer a priori le temps que cela prend. Entre les travailleurs réguliers qui fournissent un travail d’intensité modérée tout au long de l’année et ceux qui alternent les pics d’activité acharnée et les périodes de grand calme, qui a raison ?

Les entreprises ont aussi pris la mesure de la richesse que représentent les profils atypiques. Ceux-là même qu’elles boudaient pour leur incapacité à se plier à la discipline d’une vie de bureau sont maintenant des atouts créatifs qu’il faut savoir recruter et garder. Permettre à chacun de gérer ses vacances (et son temps de travail) de manière flexible, sans devoir se plier à un calendrier fixé arbitrairement est un moyen de construire un monde du travail plus inclusif et de pour bâtir des équipes plus heureuses et plus efficaces.

Repenser les ressources humaines

Nous traversons un moment charnière de l’histoire du travail où cohabitent les réflexes de l’ère industrielle (horaires de bureau stricts, travail en présentiel obligatoire) et de nouvelles façons de faire, accélérées par la période de pandémie que nous venons de vivre. Dans son livre Overbookés – Comment se libérer du culte de la productivité, l’anthropologue du numérique Rafa Harfoush montre l’inadéquation de nos anciens moyens de mesurer la productivité à un monde où l’innovation et la créativité sont les ressources principales.

Cette dissonance serait à l’origine d’un désenchantement des travailleurs, qui acceptent de moins en moins les conditions de travail d’hier, jugées inutilement coercitives. En août 2021, 4.3 millions de travailleurs américains démissionnent, un record. Les vacances libres sont un moyen de résoudre cette tension-là. Elles participent d’un mouvement général qui vise à donner aux salariés plus de contrôle sur leurs vies professionnelles. La hausse sensible du nombre de freelances en France (+92% depuis 2009) est un symptôme évocateur : les travailleurs qualifiés recherchent plus d’autonomie. Les entreprises qui veulent rester attractives devront nécessairement se poser ces questions-là.

Toute volonté de flexibilisation peut effrayer, cependant : comment faire pour que cette révolution ne se fasse pas aux dépens des salariés et de leur bien-être ? Aux entreprises de surveiller l’application de leurs politiques et d’imposer, le cas échéant, un minimum de jours de congé annuels… Et de s’assurer que leurs politiques sont bien comprises par les premiers intéressés, pour éviter de faire des déçus. Le choix des mots est primordial, et nous devons nous montrer prudents pour imaginer le monde du travail de demain. 


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