JDN. Vous avez lancé Neeva, un moteur de recherche sans publicité ni tracking en Europe l'automne dernier, et aux Etats-Unis en 2021. Où en êtes-vous aujourd'hui : combien d'inscrits et combien d'abonnés ?

Sridhar Ramaswamy, cofondateur de Neeva. © Neeva

Sridhar Ramaswamy. Nous avons près d'un million d'utilisateurs actifs par mois et espérons dépasser bientôt la barre des 1,5 million d'utilisateurs. Environ la moitié a choisi de s'enregistrer pour disposer d'un compte utilisateur ou de l'application. Nous avons lancé l'abonnement payant en février de l'année dernière. Pour le moment, nous avons quelques milliers d'abonnés et nous espérons franchir le cap de la dizaine de milliers dès le deuxième trimestre. Le produit est très bien reçu en Europe. Les gens veulent que leur expérience de recherche change, qu'elle soit respectueuse de leur vie privée.

Les moteurs de recherche offrant plus de respect de la vie privée n'ont pas réussi à concurrencer fortement Google. Comment espérez-vous y arriver ?

Nous pouvons être une plus petite entreprise que Google, mais qui innove beaucoup plus et très vite parce que de toute façon nous n'avons pas le choix : l'innovation est le seul moyen pour nous de nous développer. La promesse originale de Google de vous fournir des liens pertinents n'est pas tenue, ne serait-ce que parce que vous êtes sans cesse emmené à confondre le contenu publicitaire avec l'organique. L'expérience de recherche que nous proposons est bien meilleure, et sera encore plus puissante en étant nourrie par l'intelligence artificielle, une capacité que nous venons de lancer aux Etats-Unis et qui sera bientôt disponible en France.

Vous avez travaillé 16 ans chez Google, notamment comme vice-président de Google Ads. Votre associé était responsable de la monétisation de YouTube. Aujourd'hui vous êtes anti-pub. Pourquoi ce virage ?

J'ai en effet travaillé pendant seize ans avec la publicité dans le search et cela a été une super expérience. Si j'ai quitté Google en 2018, c'est justement parce que j'avais vraiment besoin d'entreprendre autre chose. Neeva est née de nos nombreuses discussions avec Vivek Raghunathan, mon associé : nous voulions que le search redevienne un produit en soi, avec une vraie valeur pour aider les gens à trouver ce qu'ils recherchent. Nous aimerions être fiers de ce produit, un moteur de recherche sans concession où le client est au centre, axé sur le respect de sa vie privée, sans tracking comportemental ni exposition publicitaire.

"La promesse originale de Google de vous fournir des liens pertinents n'est pas tenue"

Nous ne sommes pas anti-pub : la publicité contribue à financer l'activité de beaucoup de monde depuis très longtemps. Le problème aujourd'hui, c'est qu'il n'y a plus de limite à l'exposition publicitaire en ligne. La manière extrêmement intrusive dont Google, Amazon ou Twitter diffusent la publicité trahit la confiance des utilisateurs. Ces publicités sont conçues pour vous désorienter. Tout un écosystème vous traque dans tout ce que vous faites, ce qui est très désagréable. Tels qu'ils sont proposés aujourd'hui, les moteurs de recherche ne sont pas de bons produits justement parce qu'ils sont bâtis sur un modèle publicitaire. Ce dernier a été un succès pour Google qui est devenu un monopole et qui depuis n'innove plus.

Quelle est la différence entre la version gratuite et la formule abonnement ?

Nous sommes un moteur de recherche naissant et il est naturel que la version gratuite soit déjà très satisfaisante. C'est une sorte de test pour permettre aux gens de nous découvrir. La version payante est destinée à fidéliser les utilisateurs, ne serait-ce que parce qu'ils voudront participer au financement de ce produit. Elle leur offre aussi des fonctionnalités additionnelles de paramétrage de souhaits et de personnalisation s'ils le souhaitent, un accès illimité aux fonctionnalités de recherche basées sur l'intelligence artificielle, la création de réseaux privés, l'intégration d'autres applications comme Slack, l'e-mail, etc.

Vous avez levé 71 millions d'euros au total pour pouvoir lancer votre moteur de recherche et l'internationaliser. Combien d'abonnements vous sera-t-il nécessaire pour financer votre projet et vous permettre de vous développer ?

Créer et développer un moteur de recherche est une des activités le plus complexes d'Internet. Je pense que pour que nous puissions nous financer correctement nous avons besoin de disposer de 5 à 10 millions d'abonnés (qui généreraient entre 250 millions et 500 millions d'euros de recettes annuelles au tarif annuel de 50 euros en vigueur en France, ndlr.). Il nous faudra pour cela un minimum de cinq ans. A savoir que, outre les abonnements, nous comptons également nous financer grâce aux services technologiques que nous pourrons à l'avenir proposer aux entreprises, comme la mise en place pour eux de moteurs de recherche spécifiques sur leurs sites, des chatbots et bien d'autres développements demandant l'apport de l'intelligence artificielle.


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