La mise en application réelle de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) n’a jamais été autant d’actualité. Et difficile. Une contradiction que la technologie aide à résoudre. Elle est peut-être même la seule voie possible.

Le 24 avril 2013, l’immeuble du Rana Plaza à Dacca s’écroule dans la capitale du Bangladesh. Plus de mille personnes périssent dans la tragédie. Dans les heures qui suivent, on apprend que ce bâtiment insalubre – et connu comme tel – abritait des ateliers sordides pour de grands groupes du prêt-à-porter européen. Et des étiquettes de plusieurs marques de mode sont retrouvées dans les décombres (H&M, Mango, Benetton). La réputation sociétale de ces entreprises donneuses d’ordre est engagée.

Responsable aussi des fournisseurs de ses fournisseurs

La défense face à une telle catastrophe peut-être de dire que l’on n’était pas au courant, que c’est le fournisseur d’un fournisseur qui a pris des décisions contraires aux droits de l’Homme sans en informer personne.

Mais aujourd’hui, plaider l’ignorance ne passe plus. C’est l’entreprise au bout de la chaîne de valeur qui est responsable – au sens le plus strict de la Responsabilité Sociétale des Entreprises – de la cascade de fournisseurs intermédiaires.

Les sources d’informations sont devenues trop nombreuses pour « ne pas savoir » : presse, reportages télé, réseaux sociaux, rapports d’ONG (WWF, Canopée Forêts Vivantes, etc.), comptes rendus juridiques, audits des sociétés spécialisées, données brutes de sociétés spécialisées dans l’information d’entreprise (comme EcoVadis, Bureau van Djik ou Creditsafe), organisme de certification, bases de données (comme Trace qui scanne l’activité des ports maritimes), etc. Et les informations vont vite. Ne pas savoir, aux yeux du public et des responsables politiques, c’est ne pas vouloir savoir.

Une information pléthorique qui pose un défi

Mais il y a une contradiction. Le foisonnement mondialisé d’informations devrait faciliter la RSE en permettant de mieux repérer les fournisseurs non conformes (impliqués par exemple dans la déforestation pour planter des palmiers à huile à Bornéo) et les pratiques illégales (esclavagisme, travail des enfants, etc.).

Or ce n’est pas le cas. Trop d’informations « tue » l’information. Avec les moyens encore très manuels des équipes RSE, les entreprises ont du mal à réaliser une veille exhaustive pour anticiper les scandales et les résoudre en prenant des décisions claires avant qu’ils n’éclatent, comme changer de fournisseur sur le champ par exemple.

Faire un audit de fournisseur n’a pourtant pas fondamentalement changé. Sauf que l’environnement s’est complexifié. La quantité d’informations, leur nature et la diversité des canaux à surveiller et écouter a explosé.

Parallèlement, les clients et les citoyens, eux, sont plus informés et sensibles que jamais. D’après un sondage YouGov réalisé en 2020, 40 % de Français auraient déjà boycotté deux à trois marques, notamment pour des causes de maltraitances animales et de pollution… dont les marques en question n’avaient peut-être même pas conscience !

La RSE Big Data

En termes techniques, le problème peut se poser de la manière suivante : comment importer en continu (pour suivre le flot d’informations), des centaines de sources documentaires, aux formats divers (texte, PDF, vidéos, tweets, photos, commentaires, données structurées, pages web, etc.), pour les comprendre, en extraire des données exploitables, les synthétiser, les analyser et générer des alertes en fonction de règles précises (celles de la RSE) utilisables par les métiers ? Et cela pour chaque fournisseur.

Une solution possible se trouve dans l’industrialisation de la collecte et de l’analyse des informations RSE.

Car la problématique est clairement « Big Data ». À titre d’exemple, nous avons récemment mené un PoC avec un distributeur français sur la seule problématique du soja et de la déforestation. Ce PoC, qui s’est appuyé sur seulement 138 documents, a généré 53 000 informations explicites et 20 000 supplémentaires inférées par « raisonnements » (soit +36 % d’informations), ce qui représente 73 000 informations à creuser. Autre exemple, une base comme Creditsafe peut fournir plusieurs centaines de millions de lignes sur une seule entreprise.

Pour faire ce travail colossal d’étude documentaire de masse, il faudrait mobiliser des départements entiers. Bien trop cher pour les entreprises. Mais les technologies à la croisée du DAM, de la compréhension sémantique et de l’analytique peuvent aider des équipes qui, bien souvent, ne sont composées que de quelques personnes.

Comment les technologies peuvent automatiser la RSE ?

Un DAM – ou Digital Asset Management – est une base documentaire conçue pour stocker des « actifs numériques » de toutes sortes. Très utilisé dans la communication, il peut jouer un rôle central dans la RSE de par sa capacité à ingérer toutes les sources et tous les formats (vidéo d’une chaîne locale, rapport en format PDF émis par le WWF, texte d’un tweet, etc.)

Le propre d’un DAM est de taguer les « actifs » pour classer et retrouver les contenus. Face à la montagne d’informations à traiter, une autre technologie – la compréhension sémantique – automatise la description détaillée des documents en fonction du vocabulaire d’un secteur d’activité (la sémantisation), grâce à l’Intelligence artificielle.

Mais pour la RSE, il faut aussi savoir ce qui est dit exactement dans ces contenus. Importer des rapports de plusieurs dizaines de pages du WWF ou de l’UNICEF n’a d’intérêt que s’ils sont lus. Un moteur sémantique peut ainsi « pré lire » le document pour en sélectionner les passages à regarder de plus près, en fonction des enjeux d'une entreprise donnée.

Le gain de temps est considérable. Un document de 50 pages peut être cartographié en langage métier en moins de deux minutes.

Un « lanceur d’alertes corporate »

Mieux, ces technologies sont capables de faire des fiches de synthèses qui, elles-mêmes, sont analysées pour n’en relever que les anomalies. Le métier n’a plus alors qu’à lire la « synthèse des synthèses ».

La RSE passe alors d’une logique de gestion de flux (essayer de tout lire) à une logique de gestion d’exceptions. Les milliers de données se réduisent… à quelques alertes à vérifier par jour.

Du travail surhumain de traitement massif d’informations, impossible à réaliser, mais qu’il faut tout de même refaire sans cesse, la RSE devient gérable par des équipes de taille raisonnable, ainsi épaulées par un « lanceur d’alerte interne ». En un sens, il ne s’agit plus de se demander comment la technologie peut aider une politique RSE, mais si une politique RSE est aujourd’hui possible sans technologie ?


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