L'essor du télétravail a apporté son lot d'interrogations… Et d'inquiétudes. Vous n'avez pas la sensation que votre employeur vous fait confiance lorsque vous travaillez à domicile ? Vous avez même parfois l'impression que votre emploi du temps, et l'avancée de vos tâches, sont minutieusement contrôlées ? Faisons le point sur ce que votre employeur a le droit, ou non, de faire.

"Un employeur peut tout à fait surveiller l'activité du salarié pendant son temps de travail", rappelle Franc Muller, avocat en droit du travail. Mais alors, où tracer la limite ? "Selon l'article L1222-4 du Code du travail, aucune information qui concerne personnellement le salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance, poursuit l'avocat. L'employeur est également soumis à une obligation de loyauté, qui lui impose d'informer le salarié en cas de contrôle de son activité."

"Les preuves obtenues à l'aide de tels dispositifs ne peuvent pas, en principe, être invoquées pour justifier une sanction", rappelle la Cnil

En plus des collaborateurs concernés, l'employeur doit veiller à informer et à consulter le comité social et économique "préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés", spécifie l'article L2312-38. L'article L1121-1 du code du travail précise, lui, que ce contrôle doit être justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché. "A noter que les preuves obtenues à l'aide de tels dispositifs ne peuvent pas, en principe, être invoquées [par l'employeur] pour justifier une sanction", rappelle la Commission nationale de l'informatique et des liberté (Cnil), qui a fait de la surveillance du télétravail l'une de ses trois thématiques prioritaires de contrôle en 2022.

Ce qui est illicite

Voilà pour les textes de loi. S'appliquent-ils au travail à domicile ? "Le télétravail n'étant qu'une modalité d'organisation de travail, l'employeur conserve, au même titre que lorsque le travail est effectué sur site, le pouvoir d'encadrer et de contrôler l'exécution des tâches confiées à son salarié", répond la Cnil sur une page dédiée aux questions les plus fréquentes sur le télétravail. A condition de respecter les mêmes règles que celles encadrant la surveillance du salarié travaillant sur site, donc.

Sauf cas exceptionnels "dûment justifiés au regard de la nature de la tâche", l'employeur ne peut donc pas placer ses salariés sous surveillance permanente, avertit le gendarme des données personnelles. Les exemples suivants sont notamment jugés excessifs :

  • "La surveillance constante au moyen de dispositifs vidéo (tels qu'une webcam) ou audio.
  • Le partage permanent de l'écran et/ou l'utilisation de 'keyloggers' (logiciels qui permettent d'enregistrer l'ensemble des frappes au clavier effectuées par une personne sur un ordinateur).
  • L'obligation pour le salarié d'effectuer très régulièrement des actions pour démontrer sa présence derrière son écran comme cliquer toutes les X minutes sur une application ou prendre des photos à intervalles réguliers."

Que faire ?

Si vous êtes surveillé sans en avoir été informé par votre employeur ou si vous pensez que le contrôle qu'exerce sur vous votre entreprise n'est pas justifié par la nature de la tâche à accomplir et/ou n'est pas proportionné au but recherché, vous pouvez envisager d'agir.

"Vous pouvez signaler à votre employeur que le procédé est illicite, en lui envoyant une lettre recommandée. Cet écrit pourra servir de preuve en cas de litige", conseille Franc Muller. Attention cependant à ce que ce signalement ne détériore pas la relation de travail.

Parmi les options : une lettre recommandée adressée à l'employeur, un mail aux RH, une plainte auprès de la Cnil… Ou une discussion

"Pour avoir une trace, vous pouvez aussi envoyer un e-mail aux ressources humaines, en leur indiquant être surveillé en méconnaissance des dispositions légales", suggère l'avocat spécialisé en droit du travail.

Concrètement, que risque l'employeur ? "A supposer que le salarié établisse que le contrôle est illicite et fasse état d'un préjudice, l'employeur risque des dommages et intérêts, mais ce n'est pas très courant, répond Franc Muller. Le contrôle est difficile à démontrer, et le préjudice difficile à évaluer." Cette situation supposerait, par ailleurs, qu'une procédure soit engagée devant le Conseil des prud'hommes. Espérons que vous n'aurez pas à en arriver là.

Enfin, "il est toujours possible de porter plainte auprès de la Cnil", ajoute l'avocat. Après avoir réalisé un contrôle, la commission pourra décider de mettre en demeure l'entreprise de se conformer au RGPD et à la loi, ou de prononcer une sanction, financière ou non.

S'il existe des moyens de contrôle malhonnêtes ou insidieux, "il existe aussi une surveillance protectrice, qui contrôle le temps de travail un peu comme la pointeuse historique, ajoute  Nicolas Arpagian, spécialiste en cybersécurité. Cela peut permettre de rémunérer les heures supplémentaires ou d'éviter que les horaires du salarié dépassent les volumes légaux." Si vous pouvez préserver une relation de travail basée sur la confiance et le respect mutuels, c'est mieux.


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