JDN. Le marketing digital change, son référentiel data est en pleine ébullition. Quelles sont les principales forces à l'œuvre ?

Pierre Harand, coprésident et associé de Fifty-five. © Fifty-five

Pierre Harand. La privacy, l'IA et la sustainability. Le respect de la vie privée n'a pas encore terminé de façonner le marché : nous attendons l'aboutissement du nouvel accord de transfert des données entre l'Europe et les Etats-Unis, le Privacy Shield II, d'une part, et notamment la fin des cookies tiers pour 2024. La privacy a un impact majeur sur la quantité de données disponibles pour les annonceurs : les volumes de données venant de l'extérieur se rétrécissent, les cookies tiers servant à leur transfert se raréfiant. De plus en plus, les marques doivent capitaliser au mieux sur leurs propres données propriétaires. On observe également une augmentation des programmes d'échanges de données entre entreprises via notamment le retail media.

Quels sont les grands perdants de cette évolution ?

Les grands perdants sont les médias indépendants parce que, contrairement aux grandes plateformes comme Google et Méta, ils ne possèdent pas en général les données en grande quantité pour monétiser leurs inventaires publicitaires. Le programmatique ouvert est la première victime de la baisse des cookies tiers : le jour où Google les désactivera, on peut s'attendre à la décroissance de ce canal publicitaire.

Et concernant l'intelligence artificielle : comment s'applique-t-elle concrètement au marketing ?

Les intelligences artificielles génératives font couler beaucoup d'encre en ce moment. Mais il faut savoir que l'IA est déjà en train de réinventer les métiers du marketing, dont la manière de collecter les données et de mesurer les performances des investissements des annonceurs. A titre d'exemple, les études de type MMM (Marketing Mix Modeling, ndlr.) sont devenues totalement obsolètes : elles sont remplacées par l'intelligence artificielle que les annonceurs peuvent désormais déployer sur leurs infrastructures techniques. L'IA nous permet de modéliser un jumeau digital de la plateforme marketing de l'annonceur : on simule comme cela aussi bien les effets des promotions et des investissements publicitaires comme les facteurs exogènes (météo, saisonnalité) pour prédire l'impact sur les ventes par magasin et ligne de produit. Nous avons notamment accompagné Auchan dans la mise en place de ce type de solution.

"L'IA nous permet de modéliser un jumeau digital de la plateforme marketing de l'annonceur"

L'IA aura également un impact grandissant dans l'optimisation de la création publicitaire. Sans oublier la sustainability, qui sera favorisée par l'IA : les entreprises doivent réduire le coût environnemental de leur fonctionnement, y compris sur le numérique, et cela va beaucoup nous occuper dans les années à venir. Cela impliquera la mesure systématique de toutes les initiatives de marketing numérique. A titre d'exemple, dans le volet publicitaire, il serait important qu'on commence à suivre systématiquement le Co2PM, soit l'empreinte carbone pour mille impressions, mesurée en grammes de CO2.

Les géants du numérique semblent un peu à la dérive, annonçant des vagues de licenciements. Est-ce vraiment grave docteur ?

C'est certes la première fois que tous les groupes de technologie annoncent des plans de licenciement comme cela. Mais la situation reste très largement conjoncturelle et nous renseigne surtout sur le degré de maturité de l'industrie aujourd'hui : les pourcentages de croissance ne sont plus ce qu'ils étaient, les géants de la tech reprennent des comportements d'entreprise un peu plus normaux. N'oublions pas que tous ces acteurs ont vécu une véritable boulimie du recrutement ces dernières années (et le Covid y a beaucoup contribué). Tout cela est correctif et ne change pas une tendance de fond : ces entreprises restent extrêmement rentables.

Vous annoncez aujourd'hui une croissance de 31% en 2022, pour un chiffre d'affaires avoisinant les  60 millions d'euros. En moins de 13 ans vous êtes passé à près de 400 collaborateurs et une forte présence internationale. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos résultats et ambitions ?

Notre croissance a évolué entre +20% – pour 2020, l'année Covid – et +35% ces cinq dernières années. A ce rythme, nous espérons passer le cap des 1 000 collaborateurs d'ici trois ans. Nous sommes rentables depuis la première année d'activité en 2010 mais notre rentabilité est inférieure à 20% parce que nous sommes une société de conseil qui investit beaucoup en innovation et en développement organique à l'international (Fifty-five est présent dans une dizaine de pays dont la France, le Royaume-Uni, l'Italie, Singapour, la Suisse, la Chine et les États-Unis, ndlr.).

"Notre croissance a évolué entre +20%  et +35% ces cinq dernières années"

Nous cherchons toujours à être les premiers à tester les nouvelles méthodologies et solutions du marché, ce qui implique beaucoup de temps passé. Nous sommes agnostiques. Nous veillons à maîtriser toutes les solutions du marché pertinentes pour nos clients, qu'elles viennent de Google, Microsoft, Amazon, Meta ou d'entreprises telles que Contentsquare ou autres.

Quel est le profil de vos clients et où se trouve votre valeur ajoutée ?

Nous travaillons quasi exclusivement pour des grandes marques internationales, des groupes du CAC 40 ou Fortune 500, en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Notre métier est la data et l'IA mais avec une spécificité majeure : nos équipes bilingues maîtrisent aussi bien la technologie que le marketing, ce qui est très rare sur le marché et fondamental pour réussir la transformation des marques.


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