C'est un cercle vicieux qui pourrait finir par devenir vertueux. En parallèle de la croissance des ventes et des usages des véhicules électriques, un marché de la recharge a commencé à se développer. Car si la majorité des recharges se font chez les particuliers ou en entreprise là où les véhicules sont garés lorsqu'ils sont inutilisés, la recharge électrique publique répond à un besoin crucial et à un frein majeur à l'achat d'un véhicule électrique : la possibilité de trouver près de soi un endroit où recharger le véhicule lors d'un long voyage pour ne pas tomber en rade de batterie. Le développement de l'infrastructure de recharge est donc essentiel pour permettre la démocratisation des véhicules électriques.  

Alors que les ventes de véhicules électriques ont connu une accélération inédite depuis le covid, de nombreux acteurs ont pris conscience des opportunités et la compétition s'est renforcée sur ce marché très fragmenté. Leur objectif commun est de réussir à mailler le territoire de stations de recharge. Evidemment près des routes et autoroutes, mais aussi dans tous les endroits publics dans lesquels les véhicules peuvent être à l'arrêt parce que leurs propriétaires sont occupés à autre chose, comme les parkings de supermarchés et de centres-commerciaux ou encore les hôtels.  

Un marché fragmenté

Pas facile d'y voir clair tant les rôles sont variés sur ce marché fragmenté. "Il y a les fabricants de bornes, les opérateurs d'infrastructure électrique, les opérateurs du service en relation directe avec le client, ceux qui s'occupent de la maintenance, ainsi que les propriétaires des bornes, qui peuvent déléguer leur gestion ou s'en charger eux-mêmes", tente de résumer Yoann Nussbaumer, CEO de Chargemap, qui propose une appli répertoriant des milliers de stations de recharge en Europe et un pass permettant d'y payer sa recharge. Pour compliquer le tout, certains acteurs se positionnent sur plusieurs éléments de la chaîne de valeur à la fois, par exemple en opérant les bornes, gérant leur infrastructure électrique et assurant le service client final, comme le font EDF, Engie ou même Total.  

Alors qu'on trouvait au départ beaucoup d'acteurs spécialisés pionniers de l'électrique, la vieille garde du pétrole a fait irruption sur le marché, souvent en partenariat avec des spécialistes, signe qu'elle commence à y trouver un intérêt économique pour ses stations d'autoroute. D'autant qu'un client en véhicule électrique doit attendre que sa voiture se recharge et a donc plus de chances que celui en véhicule thermique de consommer pour tuer le temps. On peut citer Total donc, mais aussi Avia et EG Group en partenariat avec le fabricant de bornes EVBox. Ou encore Shell, qui s'intéresse également au centre-ville, par exemple avec un hub de recharge rapide à Paris réservé aux chauffeurs de taxis et VTC. 

Nouveau business pour Tesla

Autre acteur majeur du secteur, Tesla dispose de 100 stations et 1000 points de charge en France. A l'époque où les stations de recharge étaient rares, le constructeur voyait les siennes comme un avantage comparatif sur les autres véhicules électriques et les réservait donc à ses clients. Mais il est en train de changer d'avis et se rend compte que la recharge électrique pourrait devenir une nouvelle source de revenus. D'autant que davantage de clients seront les bienvenus pour financer les coûteuses nouvelles installations. Elon Musk a annoncé en juillet l'ouverture prochaine des stations Supercharger de Tesla à d'autres véhicules, mais cette annonce ne s'est pas encore matérialisée. Un porte-parole de l'entreprise explique au JDN qu'elle doit encore arrêter certaines modalités, notamment arbitrer entre une autorisation seulement des véhicules dont les constructeurs auront accepté de participer au financement des infrastructures, et un système plus ouvert où les clients seraient facturés directement par Tesla. Quoiqu'il en soit, l'entreprise estime qu'il s'agit-là d'un futur marché "conséquent". 

Cette frénésie est aussi alimentée par l'argent public. L'Etat, a mis en place plusieurs subventions et incitations financières afin de soutenir l'expansion de l'infrastructure de recharge. Un investissement de 100 millions d'euros, qui vise à installer 100 000 bornes dans toute la France d'ici fin 2021 et à équiper toutes les aires d'autoroute de solutions de recharge électrique d'ici fin 2022. L'Etat subventionne entre 10 et 40% des coûts d'installation des bornes ainsi que 30% du coût de leur raccordement au réseau.

Un modèle économique à trouver

Des subventions qui viennent compenser en partie un marché aujourd'hui loin d'être rentable. D'abord parce que les marges sur la vente d'électricité sont faibles, mais surtout parce que les volumes ne sont pas assez élevés, en l'absence d'un parc de véhicules électriques suffisant. "Par ailleurs, le prix du marché n'est pas clairement défini, on constate d'importantes variations selon les acteurs", ajoute Yoann Nussbaumer, qui précise que le prix va dépendre de trois composantes : "le coût au temps connecté à la station, l'énergie consommée, ainsi que des coûts fixes au commencement de la recharge". Comme dans tout nouveau business, ses acteurs en phase de captation de parts de marché ont aussi tendance à facturer un prix d'appel plutôt qu'un tarif réaliste visant la rentabilité.

L'une des sources de rentabilité pourrait venir de la fourniture de services premium, comme la recharge rapide, qui permet de charger son véhicule en une demi-heure environ plutôt qu'en une heure ou deux. "Les bornes de recharge rapide coûtent toutefois plus cher," tempère Corinne Frasson, directrice France du fabricant de bornes et logiciels de rechage EVBox. "Mais plus ces bornes seront utilisées, plus elles seront rentabilisées". Elle pointe également l'émergence de nouveaux modèles économiques, par exemple en mêlant autopartage et recharge pour aller chercher cette rentabilité. Mais rappelle surtout que "les équilibres économiques seront trouvés quand la mobilité électrique sera démocratisée". Il ne reste plus qu'à s'étendre et attendre. 


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