Prospection, relance d'impayés, gestion administrative et comptable… Trop occupés, de nombreux freelances renoncent à se former. Ou alors très peu. "La difficulté des indépendants est de devoir assumer tous les rôles, estime Laurence Piganeau, responsable éditoriale de BPI France Création, ils ont donc intérêt à se former." Catherine Louraco, formatrice en commerce et marketing et indépendante, en est convaincue : "C'est la seule façon d'évoluer. Sinon, on peut bloquer sans savoir pourquoi, ne plus comprendre son environnement". La formation permet de maintenir son niveau d'expertise, son employabilité et donc accroître sa valeur pour les clients.

La plupart du temps, l'indépendant n'a ni RH ni plan de formation pour l'accompagner

Pourtant, beaucoup de freelances n'en voient pas l'intérêt. Emmanuel Martins, indépendant dans l'événementiel, explique qu'ayant bénéficié d'un accompagnement pour lancer son entreprise, il n'a, au début, pas ressenti le besoin de se former. "J'accordais plus d'importance à l'expérience. Mais je suis aujourd'hui conscient de certains manques. Je ne ferai pas forcément de recherches sur le sujet, mais je pourrais me former si j'entendais parler d'un organisme qui me convienne." A l'inverse, Romain Althey, conseiller en voyage, se souvient : "Quand j'ai lancé mon entreprise, je me posais plein de questions : je ne suis pas comptable, commercial, marketeur, communicant. J'aurais pu apprendre par moi-même mais ç'aurait été plus long et fastidieux qu'un accompagnement professionnel".

"Souvent, j'aide les indépendants à passer un palier dans leur développement, témoigne Laurence Constans, formatrice et indépendante. Tous les métiers changent à vitesse grand V, il faut donc mettre à jour compétences et savoir-être. Mais le déclic est souvent économique : chiffre d'affaires trop bas ou tarifs insuffisants pour avoir un salaire correct."

En effet, l'indépendant n'a ni RH ni plan de formation pour l'accompagner. Seule exception : les indépendants en portage salarial, coopérative d'activités et d'entrepreneurs (CAE), couveuse, incubateur, qui prévoient accompagnement et formation au rôle d'entrepreneur.

Sur quoi se former ?

En général, les freelances ont besoin de formation sur deux axes majeurs. Tout d'abord, le "métier" d'entrepreneur : gérer son entreprise et la développer (aspect commercial, marketing, communication, numérique et réseaux sociaux, gestion, comptabilité). Si certains intègrent cette formation dans la préparation du lancement de leur activité, d'autres se rendent compte en cours de route des manques. "Certains ont tendance à proposer une liste de services peu rémunérateurs, et ont besoin de se former à la construction d'une offre avec une expertise," explique Lise Slimane, formatrice et indépendante. Pour Laurence Piganeau, "un des premiers problèmes est de s'organiser et gérer son temps. Des formations peuvent donc être utiles. Un autre sujet récurrent est le choix du statut et les modalités pour en changer".

Se former sur les nouveaux logiciels métier

Ensuite la formation sur son cœur de métier : c'est en général la partie la mieux maîtrisée par les freelances. Néanmoins "ils ne sont pas toujours à la pointe des nouveautés alors que notre force c'est la flexibilité et l'adaptation, estime Lise Slimane. Il faut aussi se former sur les nouveaux logiciels métier". Pour Barbara Robin, indépendante dans l'événementiel, "la difficulté est de cibler exactement ce qui nous manque pour trouver la bonne offre".

Comment financer sa formation ?

Les indépendants savent rarement comment financer une formation. Or, depuis 2018, ils ont droit à leur compte personnel de formation (CPF) comme tout actif, qu'ils soient autoentrepreneurs, gérants d'EURL ou de SASU, artistes-auteurs, intermittents du spectacle, membres d'une société de portage salarial ou d'une CAE. Il faut cependant s'acquitter de sa contribution au financement de la formation professionnelle (CFP) pour que son CPF soit alimenté. Mais seules certaines formations y sont éligibles, ce que regrette un peu Lise Slimane : "Le coaching n'est pas pris en charge, ni l'accompagnement sur les soft skills ou les thérapies courtes sur l'affirmation de soi".

Connaître les organismes qui complètent le compte CPF voire financent des formations en dehors de ce dispositif

La demande de financement de formation via son CPF se fait directement depuis son espace personnel. Si une formation a un coût supérieur à ce dont dispose l'actif, il peut abonder le compte lui-même ou demander un abondement par un organisme (Chambre de Métiers et d'Artisanat – CMA, Chambres de Commerce et d'Industrie – CCI, collectivité territoriale ou fonds d'assurance formation). Ces derniers disposent aussi d'enveloppes, variables selon les organismes, pour financer des formations hors CPF, sur un catalogue plus étendu, répondant mieux aux besoins précis des adhérents. Selon le statut de l'indépendant, l'organisme diffère.

Les travailleurs indépendants affiliés à une société de portage salarial ou une CAE bénéficient en général d'une formation au sein de leur structure, et ont droit au dispositif "projet de transition professionnelle", qui permet de financer des formations longues, avec droit à congé et maintien de sa rémunération pendant la formation.

"Plusieurs freelances interrogés ignoraient que le CPF leur était ouvert"

Il existe aussi le dispositif "crédit d'impôt pour la formation des dirigeants d'entreprise", dont le montant est de 406 euros pour 2020. "Les indépendants ne sont pas toujours au courant de ces enveloppes, explique Laurence Piganeau. Plusieurs freelances interrogés ignoraient que le CPF leur était ouvert et qu'un financement était possible."

Globalement, les personnes connaissant ces dispositifs saluent la simplification permise par le CPF. "L'administration fait bien son travail, l'utilisation du CPF est fluide, les fonds d'assurance formation un peu moins, regrette Lise Slimane. Il y a des délais pour obtenir l'accord et être remboursé." Elle pointe aussi du doigt un risque de nivellement par le bas, avec des formations moins chères mais de moindre qualité. Pour Laurence Constans, la confusion qui subsiste entre les différents dispositifs peut amener des indépendants à penser "ce n'est pas pour moi" et renoncer à se former.

Quels sont les types de formation possibles ?

Outre les grands organismes, de nombreux intervenants indépendants offrent des formations finançables par les divers dispositifs. Quand il a lancé son activité, Romain Althey a rejoint le BGE, réseau d'accompagnement des créateurs d'entreprise, qui lui a dispensé quatre formations de base avant de l'orienter vers l'Ecole de Management de l'Entrepreneuriat pour "augmenter les compétences générales d'entrepreneur".

Coaching, MOOC et webinaires parfois gratuits permettent aussi de se former

On peut recourir à d'autres formations selon ses besoins : coaching, MOOC et webinaires, parfois gratuits – la plupart des personnes interrogées y ont recours – ainsi que conférences et séminaires en présentiel, qui permettent aussi de réseauter.

Certains organismes institutionnels (CMA, CCI) offrent des formations. La BPI propose gratuitement des webinaires, des formations écrites et des conseils d'orientation avec BPI France Création, ainsi que des formations en plusieurs modules sur la communication, la digitalisation, le rebond en période de crise… avec BPI France Université.

Participer à des événements informels, des rencontres autour d'un cocktail avec prise de parole d'intervenants

Pour certains indépendants, les livres sont aussi un bon moyen de se former à son rythme et à bas coût. "Beaucoup apportent approche théorique et exercices pratiques", explique Barbara Robin, qui utilise également les podcasts. Ce qu'elle propose avec Smart Me Up Box, un ensemble de contenus multimédias inspirationnels pour les indépendants. Catherine Louraco recourt, en plus des formations classiques et des MOOC, aux magazines spécialisés et aux newsletters.

De son côté, Emmanuel Martins se dit "pas fan des formations scolaires. Je serais plus attiré par des événements informels, des rencontres autour d'un cocktail avec prise de parole d'intervenants, ou des ateliers pratiques". "Aujourd'hui, l'offre est assez adaptée, estime Barbara Robin, d'autant qu'il y a pas mal de freelances dans la formation." Elle privilégie celle à distance,  "plus facile à adapter à [son] emploi du temps".

Quelles pratiques adopter pour réussir sa "routine formation"

Une formation régulière n'est réussie que si l'entrepreneur est conscient de la nécessité de se former. Pour Hind Elidrissi, il faut avoir une vraie stratégie : s'analyser, trouver ses lacunes, décider des priorités. Et surtout "avoir son propre 'plan carrière', réfléchir à sa réalisation et adapter la formation en fonction".

"Le meilleur moment pour se former est quand on prépare le lancement de son activité"

Mais le problème le plus évoqué est le manque de temps. Le risque est d'avoir le nez dans le guidon tout le temps et ne pas réussir à prévoir des moments de formation.  Pour Laurence Piganeau de BPI France, le meilleur moment pour se former est quand on prépare le lancement de son activité. "Après, c'est beaucoup plus compliqué."

A ce moment-là, "il faut mettre la machine en route très vite et aller chercher des clients", estime Catherine Louraco mais "il existe des moments creux pour toutes les activités à toutes les étapes, qu'il faut utiliser pour colmater ses lacunes". Dans tous les cas, "il faut planifier sa formation et s'y tenir" selon la responsable de la BPI.

La plupart des indépendants qui suivent une formation régulière y consacrent 1 à 5 jours par mois

La plupart des indépendants interrogés qui sont dans une démarche de formation régulière consacrent un à cinq jours par mois à la formation, pris sur le temps de travail et / ou les soirs et week-ends – ce qui représente 10% de leur chiffre d'affaires pour certains. "Désormais, cela fait partie de mes habitudes, explique Romain Althey. Cela me permet d'optimiser mon temps de travail et sa qualité."

La formation empiétant sur les moments de production et de prospection, il est capital, pour Lise Slimane, de l'inclure dans ses tarifs journaliers. "Il n'y a souvent pas de réflexion sur la politique tarifaire", note Laurence Constans. Or, selon Hind Elidrissi, " le meilleur investissement qu'un indépendant puisse faire, c'est sur soi et ses compétences ".


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