Les solutions par identifiants uniques (que l'on nomme aussi ID alternatifs ou universels) se sont développées comme des petits pains dans l'industrie de la publicité digitale ces trois dernières années. On en compte plusieurs dizaines dans le monde, qu'elles soient proposées par des indépendants, des plateformes d'achat ou des prestataires data. Leur point commun est de proposer une méthode alternative aux cookies tiers et au stack Google pour le ciblage, reciblage, la mesure des campagnes et la maîtrise de la pression publicitaire. Mais tiennent-elles toutes leurs promesses ?

"Sur Firefox ou Safari, on arrive avec ce type de solution à valoriser l'inventaire au cas par cas sur du gré à gré ou en deal ID, mais globalement sur l'open auction cela n'a aucun impact pour l'instant", résume un peu désabusé Grégoire Gaffié, directeur de la monétisation de Reworld Media. Difficile en effet de s'en contenter quand on enregistre 220 millions de visites par mois et qu'en moyenne seulement 30% de ses audiences peuvent être identifiées à travers un ID.

La plupart des solutions proposées se basent en effet sur des méthodes dites "déterministes". Si elles ont le mérite d'être extrêmement précises (une condition souvent nécessaire pour le reciblage ou la mesure de conversion), elles peuvent pécher par un reach souvent très limité, exception faite des retailers et publishers disposant d'une base CRM significative. La raison est que l'ID dans ce cas est généré uniquement si on dispose de l'email ou autres données de login des visiteurs. "Chez nous l'inventaire dont on peut récupérer à la fois le consentement et l'email représente 15% pour le moment", précise Thomas Masereel, responsable yield et programmatique chez Media Figaro.

Chez Prisma Media, "c'est loin d'être suffisant"

Ce type de solution représente un véritable casse-tête en effet chez de nombreux éditeurs dont le modèle est hybride : d'un côté les abonnés sont logués mais sensiblement moins exposés à la publicité ; de l'autre, les visiteurs non abonnés ne sont que très rarement identifiables car le login peut être une stratégie longue à porter ses fruits. Même chez Prisma, qui dispose d'une des plus grosses bases d'email en France (29 millions), le reach reste limité puisque ces emails leur permettent de couvrir seulement 15% du volume d'impressions. Le groupe étant très dépendant de la publicité et du cookie, Prisma déploie de manière systématique plusieurs solutions d'ID. "Mais c'est loin d'être suffisant", commente Paul Ripart, directeur commercial programmatique et data chez Prisma Media.

Heureusement, certains acteurs proposent également des méthodes dites probabilistes, basées sur des signaux faibles (IP, url, etc.), qui permettent d'embarquer les audiences pour lesquelles l'éditeur ne dispose pas d'emails ou de numéro de téléphone, élargissant ainsi sensiblement le reach.

Ça marche mais ça ne rapporte pas

Se voulant universelles, les solutions d'ID sont à ce stade loin de l'être, puisque elles sont fourniee, et par conséquent reliées, soit à une plateforme d'achat, soit à un prestataire data, soit à une techno de retargeting ou à des adtech indépendantes qui disposent d'une pénétration limitée. "Chacun propose sa solution d'ID de son côté, on ne peut pas les matcher avec la concurrence, c'est compliqué et même dans le cas où l'interopérabilité est possible, il y a de la déperdition", ajoute Grégoire Gaffié.

Sans être trop ambitieux sur l'interopérabilité, il faudrait déjà qu'une même solution puisse au moins être "lue" par l'intégralité de l'écosystème programmatique, côté vente et côté achat, autrement elle ne servirait pas à grand-chose. C'est notamment le problème que pose une des trois solutions testées par Media Figaro, dont la méthode est pourtant potentiellement très intéressante puisqu'elle se base aussi sur des signaux faibles (IP, user agent). "Il nous a fallu beaucoup de temps pour trouver le bon DSP et le bon SSP pour pouvoir la tester", explique Thomas Masereel.

"On voit déjà sur Safari et Firefox de vrais gains de monétisation"

Une situation confirmée par Paul Ripart : "Aujourd'hui, il y a très peu de trading sur ces solutions. C'est dommage parce que nous avons pu les tester et constater que ça marche !" Difficile aussi de mesurer les recettes générées quand on ne dispose pas de tableau de bord : "Il m'est impossible aujourd'hui de faire remonter facilement des statistiques sur l'incrément de revenus générés par ces différents ID", atteste-t-il.

On voit bien que si les éditeurs semblent jouer le jeu, beaucoup de progrès restent à faire encore du côté by side. "En dehors des plateformes d'achat qui ont adopté une solution d'ID propre, comme The Trade Desk ou Criteo, les résultats ne sont pas encore significatifs", convient Benoit Hucafol, head of demand product chez Equativ. "Ces solutions sont vues comme une préparation à la fin des cookies sur Chrome, et cela génère une frustration parce que le marché ne les a pas encore adoptées massivement. Mais on voit déjà sur Safari et Firefox de vrais gains de monétisation", assure-t-il.

Les SSP alternatifs à Google ont tout intérêt à ce que ces solutions d'ID soient viables, d'autant qu'elles ne sont pas reconnues au sein de l'écosystème Google. Equativ par exemple propose des solutions pour palier à la pénurie de plateformes d'achat, en intégrant les données ID de ses partenaires éditeurs afin que les acheteurs puissent en bénéficier.

Une initiative intelligente voire même indispensable pour stimuler la venue d'éditeurs à ce système. Car, n'oublions pas, ces derniers peuvent toujours compter sur la facilité du système PPID proposé par Google qui suit le même principe des ID, avec deux différences fondamentales : il ne peut être déployé qu'à l'intérieur du stack Google et qu'au sein du domaine de l'éditeur (pas de cross-éditeurs possible). Mais il présente un grand avantage : pas besoin de convaincre les acteurs du marché de l'intégrer puisque c'est bien Google qui, couvrant la chaîne côté offre et demande, le fait circuler. "A l'intérieur de PPID, l'éditeur transmet la base d'identifiants qui lui convient. Celle-ci est intégrée dans cette enveloppe PPID et envoyée ensuite à tout l'écosystème Google : grâce à cette méthode nous avons pu récupérer la moitié de la valeur perdue sur Safari et Firefox", explique Thomas Masereel. "Nous avons créé notre Prisma ID grâce à cette méthode et c'est extrêmement prometteur car j'ai 100% de mes visiteurs sur tous les navigateurs et ça marche dans tout l'écosystème Google", confirme Paul Ripart.

En attendant que l'écosystème déploie massivement ces ID universels, qui ont malgré tout leur intérêt, ou que de nouvelles solutions s'imposent, comme celle proposée par la société First.id récemment créée en France ou encore le projet à l'étude par les opérateurs télécom européens, le chemin risque d'être encore long pour que l'adtech puisse proposer des alternatives fortes à Google.


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