JDN. Vous êtes de retour dans cette nouvelle saison de " Qui veut être mon associé ? ". Etait-ce évident pour vous de retrouver ce programme ?

Eric Larchevêque, cofondateur de Ledger et business angel. © Pierre Olivier/M6

Eric Larchevêque. J'aime beaucoup cet exercice car c'est un format qui permet de parler de l'entrepreneuriat, de créer des vocations, de donner de l'ambition et d'expliquer au grand public ce qu'est la création d'entreprise. Cela montre qu'un entrepreneur, ce n'est pas un grand patron du CAC40, éloigné des réalités, uniquement parisien et issu d'école de commerce. Il y a des profils assez variés chez les candidats. Selon moi, l'émission a aussi son rôle social, dans un premier temps parce qu'il peut réconcilier les Français avec la notion d'argent, d'entrepreneuriat et de réussite.

Ce n'est pas forcément fait pour tout le monde mais en tout cas, tout le monde peut devenir entrepreneur, il n'y a pas de prérequis, pas d'études particulières pour l'être et ce programme joue un rôle à ce niveau et c'est pourquoi c'est important pour moi d'y participer. Nous allons voir des projets dans des domaines que je n'aurais pas soupçonnés ou pas pu voir via le cycle normal de dossiers que je reçois en tant que business angel. Plus jeune, lors de mes premières entreprises, j'aurais adoré y participer. J'ai beaucoup entrepris, j'ai fait pas mal de boîtes et aujourd'hui, c'est une manière d'entreprendre par procuration

Comment vous investissez-vous avec ces entreprises à l'issue de l'émission ?

Depuis le début, j'ai dû investir plus d'un million et demi d'euros dans des sociétés de l'émission. Pour certaines entreprises, je sais que la rentabilité sera compliquée : même si l'entreprise fonctionne, il n'y aura probablement pas de sortie car la problématique de beaucoup de ces entreprises, c'est la liquidité. Pour moi, c'est davantage une façon de rendre et d'aider une entreprise à se développer. C'est important de bien les choisir mais je ne le vois pas comme un fonds. Je les accompagne, je reste en contact avec elles, je leur réponds lorsqu'il ont des questions. Je retrouve ces premiers moments où il y a cette énergie, l'envie, la résilience propres aux débuts des aventures, cela ramène forcément à ses propres expériences et c'est en puisant dans celles-ci que l'on arrive à pouvoir évaluer des projets et orienter les entrepreneurs.

Vous avez entrepris dans le secteur de la cryptomonnaie en 2014, époque où il n'était question que de Bitcoin. Depuis, le paysage a beaucoup changé, notamment en France avec des acteurs comme Binance et Crypto.com accueillis à bras ouverts et où le terme Web3, lancé par un fondateur d'Ethereum, s'est imposé. Etes-vous vraiment en phase avec un secteur qui ne défend plus vraiment la preuve de travail, consensus porté par Bitcoin ?

Je suis toujours un supporter de Bitcoin et pour moi, il y a beaucoup de washing et d'euphémismes : en 2016, on disait blockchain, aujourd'hui on dit Web3. Sans être un Bitcoin maximaliste, car je considère que c'est légitime qu'il y ait d'autres cryptos et de tenter d'autres protocoles, je pense quand même que Bitcoin a des fondamentaux largement supérieurs par rapport aux autres cryptomonnaies et c'est pour ça que je suis persuadé qu'à très long terme, Bitcoin sera toujours là. C'est beaucoup moins clair pour les autres. Effectivement, seule la preuve de travail peut garantir une véritable décentralisation et une véritable sécurité de la blockchain. Il y a quand même quelques équipes qui travaillent sur Bitcoin, que ce soit au niveau du mining ou du layer-2 Lightning. Ils existent, mais il est vrai que la tendance à utiliser Ethereum est assez forte et quand on parle à des développeurs ethereum, je pense qu'ils ne s'intéressent pas trop aux véritables notions de décentralisation, de finance et de blockchain. Pour moi, ils ne font pas partie de la vraie révolution initiale, assez cypherpunk.

" L'identité numérique est l'un des enjeux majeurs des années à venir "

Est-ce toujours un secteur que vous suivez de près ?

Les deux plus grosses lignes dans mon portfolio sont Ledger et Coinhouse. Je regarde donc le secteur, sans forcément suivre de près la dernière crypto ou le dernier protocole à la mode. Je regarde ce qui se fait dans le Web3 car la décentralisation d'un certain nombre de protocoles et la reconstruction d'une infrastructure basée sur une authentification avec une souveraineté numérique personnelle, la possession des parts d'un projet ou de sa gouvernance, cela m'intéresse.

Quelles sont les innovations que vous attendez pour cette année 2023 ?

Justement, l'identité numérique et tout ce qui permet d'obtenir une meilleure souveraineté : si nous voulons des projets Web3 qui fonctionnent, avec une vraie gouvernance décentralisée et la véritable possession d'actifs, il faut vraiment que nous ayons la capacité de nous identifier et de contrôler nos données. Cette notion d'identité est essentielle chez Ledger depuis le début car la clef privée est vraiment le fondement. Il faut désormais être capable d'aller plus loin et attacher d'autres protocoles pour aller de la souveraineté personnelle à l'identité civile, cela fait partie des enjeux majeurs pour 2023, 2024. Pour cela, il faut aussi définir ce qu'est une identité. L'identification par le visage ? Dans ce cas, que se passe-t-il en cas d'accident ? Il y a énormément de questions comme celles-ci, dont certaines sont encore ouvertes, mais cela fait partie des enjeux majeurs pour que le Web3 puisse se développer.

Cela reste des concepts vagues pour beaucoup. Comment abstraire les difficultés pour l'usager de tous les jours ?

Il est nécessaire de comprendre les différences fondamentales entre des identités centralisée et décentralisée. Dans le monde centralisé, on a un mot de passe et on le soumet à un serveur qui vérifie sa validité, avec toutes les problématiques que cela implique. Dans la décentralisation, on a toujours un mot de passe, c'est la clef privée, mais on prouve qu'on la connaît sans jamais la divulguer. C'est le principe de la signature cryptographique. Cette notion fondamentale, à la fois simple et compliquée, permet de créer énormément de choses sans être dépendant d'un système unique. La vraie problématique, et c'est celle de Ledger et de la cryptomonnaie depuis le début, concerne la gestion de cette clef privée.

Aujourd'hui, on a réussi chez Ledger à résoudre la partie sécurité avec le hardware wallet. On passe une deuxième étape avec le Stax qui a été conçu pour permettre une expérience utilisateur à même d'aller au-delà des early adopters. L'enjeu majeur sera ensuite de résoudre la conservation de la sauvegarde et sa transmission car aujourd'hui, en cas de décès d'un utilisateur, il y a un vrai problème : comment mon héritier peut-il connaître l'existence de mon wallet, son lieu de stockage, son fonctionnement et enfin, son mot de passe sans y accéder de mon vivant ? Il n'y a pas de solution simple : le notaire n'en est, par exemple, pas une. Dès 2023, Ledger espère commercialiser des solutions en capacité de répondre à cette problématique, c'est vraiment la clef d'un usage global. Il est nécessaire de construire les infrastructures pour accueillir les futurs utilisateurs.

Vous êtes également fondateur de l'école de développeurs Algosup à Vierzon. Comment cet établissement fonctionne-t-il trois ans après sa création ?

Il y a du monde et l'école tourne bien. Néanmoins, elle se trouve pour l'heure dans les anciens locaux de Ledger. Nous n'avons pas encore testé la formule d'Algosup avec ses futurs locaux qui seront prêts en septembre 2023. A la rentrée prochaine, nous serons dans le nouveau campus numérique, situé en face de la gare de Vierzon, avec bien plus de place. Cinquante élèves doivent arriver et ce sera à ce moment-là que nous saurons si nous avons réussi notre pari. Il y a un véritable intérêt pour la programmation mais nous devons convaincre sur les choix que nous avons fait, notamment sur la partie académique : un fonctionnement au projet, un enseignement intégralement anglophone, le choix des compétences générales. C'est une école qui apporte une alternative, à mon sens plus en phase avec les attentes des entreprises. Notre ambition est de former les futurs VP Engineering et CTO, qui auront une vision à 360° de toutes les technologies.

Le choix de l'anglophonie vous permet-il d'attirer des talents extérieurs ?

Complètement, il nous permet d'aller chercher des enseignants chez Google, Apple, Amazon… Notre objectif est vraiment de trouver les meilleurs dans tous les domaines et les meilleurs, ce sont ceux qui font du code, dirigent et sont à la pointe dans les plus grandes entreprises. Là, nous pouvons recruter dans le monde entier, nous ne sommes pas limités à des francophones.


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