[Mise à jour du lundi 20 février 2023 à 15h38] Entamées en novembre, les négociations entre partenaires sociaux sur le partage de la valeur en entreprise, pourraient bien se concrétiser. Deux des cinq centrales syndicales présentent lors des discussions ont d'ores et déjà annoncé qu'elles signeraient l'accord. Le texte proposé, le 10 février dernier, par les organisations patronales – dont le Medef et la CPME – prévoit notamment d'obliger les sociétés de plus de 11 salariés à mettre en place des dispositifs de participation, d'intéressement ou à verser des primes de partage de la valeur. Une contrainte qui concernait jusque-là uniquement les entreprises de plus de 50 salariés. Pour l'heure, les directions nationales de la CFDT et de la CFTC confirment qu'elles vont signer le texte. Présent durant les négociations, le vice-président de la CPME en charge des affaires sociales, Eric Chevée, nous confie que le syndicat FO se dit "également favorable à l'accord". Cette possible troisième signature permettrait d'obtenir "l'aval d'une majorité de syndicats, nécessaire pour rendre concret l'accord", rappelle le représentant des PME. De leur côté, la CGT et la CFE-CGC, "continuent d'exprimer des réserves", explique Eric Chevée. Les centrales ont jusqu'au mercredi 22 février pour valider, ou non, le texte proposé par le patronat. D'ultimes tractations qui interviennent au moment où les parlementaires de la majorité se réunissent ce lundi 20 février en convention afin de traduire le contenu de cet accord en proposition de loi.

De son côté, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a salué ce lundi au micro de BFMTV/RMC, l'accord esquissé par les partenaires sociaux. Le locataire de Bercy a qualifié le texte d'"historique pour les salariés des PME" affirmant que l'exécutif compte respecter l'entente trouvée entre les syndicats et le patronat. Une déclaration qui fait écho aux avertissements lancés dimanche par le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, lors du "Grand Rendez-vous" Europe 1/Cnews/Les Echos : "Tout détricotage de cet accord serait pour moi un coup de poignard dans le dos des partenaires sociaux". Même son de cloche du côté du vice-président de la CPME, Eric Chevée, qui souligne l'importance de voir les syndicats signer cet accord. En cas de mésentente entre les partenaires sociaux, "le gouvernement pourrait décider de reprendre la main et de légiférer sans nous", redoute le vice-président de la CPME. L'instauration d'un dividende salarié "dont personne ne veut" pourrait également "avoir des effets délétères pour les TPE et les PME", avertit Eric Chevée. Selon lui, cela reviendrait également "à tirer un trait sur toutes les autres avancées majeures, en matière de partage de la valeur, esquissées dans cet accord".

À quoi ressemble l'accord des partenaires sociaux sur les PME ?

Le projet d'accord prévoit notamment d'imposer aux entreprises de plus de 11 salariés de mettre en place au moins l'un des trois dispositifs du partage de la valeur : la participation, l'intéressement ou la prime Macron, également appelée prime du partage de la valeur. Toutefois, cette obligation n'incomberait qu'aux sociétés qui sont rentables et qui génèrent un bénéfice net au moins égal à 1% du chiffre d'affaires, pendant 3 années consécutives. Jusque-là, seules les entreprises de plus de 50 salariés étaient astreintes à mettre en place l'un de ces dispositifs.

Le vice-président de la CPME en charge des affaires sociales, Eric Chevée, précise que "l'obligation n'entrera en vigueur qu'à partir du 1er janvier 2025". En effet, le projet d'accord stipule que "les bénéfices et les chiffres d'affaires générés par les entreprises sont évalués sur les exercices des années 2022, 2023 et 2024", ce qui rend, de fait, la mesure inapplicable avant 2025. Enfin, les différentes branches professionnelles doivent également se réunir, en juin 2024, afin de définir un nouveau cadre destiné à simplifier la mise en œuvre de la participation, de l'intéressement ou de la prime de partage de la valeur dans les entreprises. Or, "ce n'est qu'après cette date que les sociétés concernées auront l'obligation de choisir l'une de ces trois options", indique le vice-président de la CPME. Selon Eric Chevée, les accords de branche visent à assouplir les modalités d'applications des trois dispositifs existants. À l'heure actuelle, c'est "la complexité de ces outils qui fait que seulement 20% des entreprises de moins de 50 salariés, utilisent la participation, l'intéressement ou la prime de partage de la valeur, contre 80% pour les grands groupes".

Le dividende salarié exclu de l'accord ?

Une tendance générale s'est tout de même dégagée des débats entre les partenaires sociaux. Ni les syndicats, ni les organisations patronales ne souhaitent voir la mise en place d'un dividende salarié. Un refus catégorique partagé par "tous les partenaires sociaux", et ce, "dès le premier tour de table", confie Eric Chevée. Le projet d'accord, présenté par le patronat, indique d'ailleurs, "dès son préambule", l'opposition des négociateurs à l'égard de ce concept qualifié de "flou", explique le représentant de la CPME. C'est pourtant ce même dividende salarié qui a conduit l'exécutif, en novembre 2022, à demander aux partenaires sociaux de se réunir pour plancher sur la question. Pour rappel, le dividende salarié est une promesse de campagne d'Emmanuel Macron, défendue par plusieurs membres du gouvernement. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, affirmait, en novembre dernier, vouloir rendre obligatoire l'instauration d'un dividende salarié pour "toutes les entreprises qui versent des dividendes à leurs actionnaires". Une manière de préserver le pouvoir d'achat des salariés – en ces temps de forte inflation, accélérée par la guerre en Ukraine – sans toutefois imposer une hausse générale des salaires, qui pèserait grandement sur les coûts fixes des entreprises.

À quoi ressemble le dividende salarié selon Emmanuel Macron ?

Concrètement, toutes les entreprises, "petites ou grandes", versant des dividendes aux actionnaires devraient attribuer à leurs salariés "un équivalent dividende sous forme de prime, de participation ou d'intéressement obligatoire", avait expliqué le ministre de l'Economie, Bruno le Maire, dans une interview accordée au Parisien, en novembre dernier. Une seconde mesure pourrait concerner plus spécifiquement "les entreprises enregistrant des superprofits : à savoir les sociétés qui réalisent plus de 20% de profits par rapport à la moyenne des 5 dernières années ou qui versent 20% de dividendes supplémentaires en comparaison avec la moyenne des 5 dernières années", avait précisé le locataire de Bercy. Dans ce cas précis, les firmes qui font des "superprofits" et des "superbénéfices" devront mettre en place une "superparticipation" pour les salariés.

Medef, CPME… Pourquoi le patronat s'oppose au dividende salarié ?

Le dividende salarié tel que présenté par le gouvernement n'a pas suscité beaucoup d'engouement au sein des organisations patronales. Le directeur général de l'Association Française des Entreprises Privées (AFEP), Jean-Luc Matt, a exprimé son scepticisme. D'après lui, les 114 grands groupes qui composent son association, comme Air France KLM, Carrefour, Danone ou Société Générale, se montrent déjà "exemplaires en matière de redistribution des bénéfices réalisés par l'entreprise". Selon Jean-Luc Matt, "108 milliards d'euros ont été versés par ses adhérents à leurs 2,1 millions de salariés : 100 milliards de rémunérations brutes, 6,3 milliards de participation et d'intéressement et 2,3 milliards pour les salariés actionnaires", a détaillé le directeur de l'AFEP auprès de l'AFP. Un chiffre corroboré par la fondation IFRAP, qui estime dans sa dernière étude sur les dividendes salariés, que les entreprises françaises versent en moyenne 66,8% de leurs dividendes à leurs salariés actionnaires. 

L'Afep n'est pas le seul organisme réfractaire au dividende salarié. Au début du mois de novembre, le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, s'était montré défavorable à l'idée de "revoir les dispositifs existants". Le vice-président de la CPME en charge des affaires sociales, Eric Chevée, considère, quant à lui, qu'on "mélange tout avec cette terminologie de dividende salarié". "Le dividende, c'est une rémunération pour les actionnaires qui prennent des risques en investissant dans le capital d'une entreprise, cela ne rémunère pas le travail" s'insurge t-il. En outre, le représentant des PME estime qu'il existe déjà "plusieurs dispositifs de partage de la valeur" (intéressement, prime Macron, participation, actionnariat salarié) et juge qu'il n'est pas "nécessaire d'en ajouter un quatrième au fonctionnement obscur".

Pourquoi les syndicats jugent-ils le dividende salarié "insuffisant" ?

Le premier chapitre du projet d'accord mentionne, à la demande des syndicats, que "la rémunération reste l'outil de rétribution principal en contrepartie d'un contrat de travail". Une façon de recentrer le débat sur la revalorisation des salaires. "Les centrales craignent que le débat sur le partage de la valeur incite les entreprises à récompenser les employés uniquement avec des primes, et non plus avec des augmentations de salaires", explique Eric Chevée. 

La proposition du gouvernement provoque également peu d'enthousiasme chez les syndicats. La CGT a d'ores et déjà expliqué que le dividende salarié ne doit pas se faire au détriment d'une "augmentation des salaires calquée sur les chiffres de l'inflation". Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT, nuance et plaide, de son côté, pour "une généralisation de la participation à toutes les entreprises, avec un dispositif basé sur le versement aux salariés d'un pourcentage du bénéfice net".


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