En effet, 41% des Européens ne souhaitent pas partager de données les concernant avec des entreprises privées, tandis que près de 70% des Américains estiment que leurs données personnelles sont utilisées à mauvais escient.

La méfiance ressentie par les individus comme les gouvernements à l’égard de l’utilisation qui est faite des données personnelles par les Big Tech, à l’image de Google par exemple, a conduit à l’instauration du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2018, ou encore de multiples outils législatifs aux Etats-Unis ces dernières années. Dans cette lutte contre le nouveau truisme selon lequel, si un produit est gratuit, le consommateur est lui-même le produit, entreprises, institutions et individus sont en quête de solutions respectueuses de la vie privée des utilisateurs et conformes à la législation en vigueur. S’agit-il d’un nouveau tournant dans la manière de consommer des solutions à grande échelle ? L’heure de rendre des comptes est-elle venue pour Big Tech ? 

La confidentialité de plus en plus chère au cœur des individus et des gouvernements

L’année 2020 a marqué un tournant pour les Big Tech, attaquées de toutes parts sur la question de la protection des données. D’un côté, la Maison-Blanche a changé sa politique envers ses propres entreprises technologiques. En juillet 2020, une audition de la direction des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) a été tenue par la Sous-commission de la justice pendant laquelle de nombreux exemples d'abus par les Big Tech de leur position de leader sur le marché, y compris dans le domaine de l'informatique, ont été signalés. La fin de l'année a été marquée par de nombreux procès et d’accusations de pratiques monopolistiques, envers des acteurs majeurs comme Google.

De l’autre, ce sont des citoyens qui se sont érigés face à ces géants. L’activiste autrichien, Max Schrems, militant pour la protection des données privées poursuit depuis des années les plus grandes entreprises américaines, les accusant de transférer illégalement les données de citoyens de l'UE vers les États-Unis. Après l'introduction du RGPD, il a poursuivi ces entreprises pour un montant de 3,9 milliards d'euros. La Cour de justice de l'Union européenne dans la désormais célèbre affaire, désignée sous le nom de Schrems II, a annulé le Privacy Shield – la base juridique des transferts de données entre l'Europe et les États-Unis. La Cour a jugé que le système juridique américain n'offrait pas une sécurité adéquate aux données des citoyens de l'UE. Ce jugement est une confirmation symbolique des profonds changements intervenus dans la perception de la valeur des données personnelles.

Les arguments et les craintes de Max Schrems, engagé pendant de nombreuses années dans une lutte inégale contre les Big Tech, ont été largement repris par la rhétorique officielle de l'Union européenne. Bruxelles prévoit de rendre beaucoup plus difficiles la collecte, le traitement et le transfert des données des Européens pour les entreprises américaines. Les propos des plus hauts responsables de l'U.E. confirment que des mesures encore plus radicales sont à prévoir, comme la mise en place d’une infrastructure de base de données totalement indépendante des fournisseurs américains.

Le RGPD et les règlementations similaires ont défini assez précisément les règles du jeu dans les domaines de l’acquisition et du traitement des données. La bonne volonté, la loi ou la crainte de sanctions devraient inciter les entreprises, notamment les Big Tech, à élever les normes de confidentialité dans leurs activités. Les lois actuellement mises en œuvre offrent aux e-citoyens de nombreux outils pour mieux protéger leurs données. Mais cela sera-t-il suffisant pour protéger la vie privée des citoyens ?

Proposer une alternative pour briser le monopole des Big Tech

Quels pourraient être les conséquences de ces conflits ? En fin de compte, probablement aucune des deux parties ne sortira de ce combat ni pleinement satisfaite, ni totalement vaincue. Il semble que pour apaiser l’opinion publique et atténuer leur image monopolistique, les Big Tech devront sacrifier une partie de leurs périmètres d’activités. L’idée – considérée comme farfelue il y a encore quelques années – selon laquelle Facebook devrait se séparer d’Instagram ou de Whatsapp semble de plus en plus envisageable.

En Europe, des concessions ont déjà été faites, comme le retrait des cookies par Google et de l’IDFA (Apple ID for Advertisers) par Apple. Ces gestes sont perçus d’un bon œil par Bruxelles. Cependant, il convient de noter que la tendance à la protection de la vie privée peut également avoir des effets négatifs. Google et d'autres géants de la technologie n'ont plus besoin de cookies, car ils enferment efficacement les internautes au sein de leurs propres écosystèmes publicitaires appelés « Walled Garden » ou « Jardins clos », dans lesquels les données sur les groupes cibles et le mécanisme d'achat et d'affichage des publicités sont contrôlés par une seule organisation. 

Néanmoins, le point de non-retour est déjà loin derrière nous. La tendance à collecter, traiter et exploiter les informations concernant les consommateurs dans le monde entier est trop prévalente et écrasante pour être simplement supprimée. Les actions des gouvernements et des institutions se concentrent sur l’évolution des mécanismes de suivi et le renforcement des outils législatifs et réglementaires pour protéger les individus. Mais de tels outils sont insuffisants pour prévenir l’intrusion de certains acteurs, en particulier les Big Tech, dans nos vies quotidiennes.

Pour lutter contre cette mainmise, il est donc nécessaire de trouver des alternatives qui promeuvent des technologies moins invasives et respectueuses de la vie privée. La confidentialité dès la conception doit devenir un principe clé pour les développeurs de solutions et d’applications. Par ailleurs, il est essentiel d’offrir aux consommateurs le choix entre les solutions plébiscitées aujourd’hui et d’autres, plus respectueuses et conformes à la législation concernant la protection des données personnelles. Certaines existent déjà qui bénéficient de certifications qui garantissent leur respect de la vie privée.

La question de la vie privée est un sujet qui gagne en visibilité et l’inquiétude des individus comme des gouvernements à l’égard de la manière dont les données personnelles sont collectées, traitées et exploitées gagne en importance. Mais si ces préoccupations ont donné lieu à la création de nombreux outils réglementaires permettant d’encadrer ces activités, la protection de la vie privée ne pourra être assurée qu’au moyen d’une transformation radicale des cultures et des mentalités, en obligeant notamment les Big Tech à mieux respecter ces principes et en incitant les consommateurs à s’informer et à se tourner vers d’autres solutions qui, si elles bénéficient d’une moindre visibilité, sont davantage conformes aux attentes individuelles et collectives concernant la protection des données personnelles.


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